Le 4 avril dernier, le Palais Royal dévoilait le visuel de l’invitation au couronnement de Charles III, qui aura lieu le 6 mai 2023. Quelques 2000 invités vont recevoir le précieux carton, réalisé par l’artiste Andrew Stewart Jamieson, spécialiste en enluminure et héraldique. Une enluminure bucolique, chargée en symboles et que je trouve plutôt charmante dans sa composition.
Une fois encore, l’enluminure est au devant de la scène avec cette invitation qui a fait parlé d’elle autant par sa dimension historique que par ses symboles très discutés.
Je ne pouvais donc manquer l’occasion de partager avec vous tous les secrets de cette invitation pas comme les autres qui aurait bien sa place dans une future saison de The Crown !
L’invitation au couronnement de Charles III est un point clé dans la construction de son image en tant que roi. Alors forcément chaque détail est scruté et analysé. Et si certaines allégories sont tout à fait anodine, il y a un détail central qui a fait beaucoup parlé de lui : le Green Man.
Le Green Man
Si comme moi vous avez suivi the Chilling Adventure of Sabrina, votre connaissance du Green Man est un dieu païen pas très sympathique, se vengeant des hommes pour dominer le monde. Pas le genre de symbole qu’on mettrait de manière centrale dans une invitation de couronnement…
The Guardian s’en est d’ailleurs inquiété avec son irrévérence habituelle dans un article sobrement titré « Charles est-il en train de prévoir une fête païenne ? » Le journaliste va même jusqu’à s’inquiéter que Charles se prenne pour le Green Man, menaçant les hommes destructeur de l’environnement.
Dans son communiqué, Buckingham Palace explique que le Roi a voulu refléter son engagement environnemental en utilisant la figure folklorique du Green Man comme symbole printanier de renaissance célébrant le nouveau règne.
Me concernant j’y vois ici 3 symboles.
- Tout d’abord, et c’est le plus évident, Charles III est un environnementaliste convaincu depuis des décennies. Les autres symboles de l’invitation célèbrent toutes la nature britannique et, comme la Palais l’indique, le symbole de renaissance n’est que trop évident.
- Ensuite, il faut se rappeler que le sacre d’un roi répond à des traditions médiévales profondément ancrées dans la plus grande tradition du Christianisme. Le choix de Jamieson pour réaliser l’invitation n’est pas anodin. Grand spécialiste de la chevalerie Arthurienne, il a abondamment utilisé cette imagerie médiévale dans sa composition, ce qui était certainement son brief de départ.
- C’est ce qui m’amène à penser que, fidèle à la tradition médiévale des drôleries et à l’humour du roi Charles III, Jamieson nous offre ici un bel exemple d’humour à l’anglaise. Quoi de plus britannique que d’illustrer avec légèreté un document on ne peut plus solennel ?
Charles III n’indique-t-il pas ainsi à ses invités qu’il n’est pas nécessaire de prendre trop au sérieux le cérémonial ancestral de Westminster Abbey ? Lui, « le défenseur de toutes les fois » n’adresserait-il pas un clin d’œil à sa spiritualité plurielle tout en défendant ses convictions environnementales ?
La campagne britannique
Le cadre de l’invitation met largement à l’honneur la flore sauvage britannique. Muguet, fraises des bois, bleuets, églantiers, campanules et romarin ornent la frise gothique. On y retrouve aussi les trèfles irlandais, les chardons écossais … tous les symboles des différentes campagnes de Grande-Bretagne.
La petite faune britannique joue également dans cette frise, de façon traditionnelle. Il faut toutefois noter qu’à chaque fois les fleurs sont regroupées par 3 afin de symboliser le fait que le roi sera le 3ème de son nom.
Les roses Tudor et les symboles du Royaume Uni.
En bas de l’invitation sont aussi présentes les Roses Tudor, emblème floral traditionnel de l’Angleterre. Elles combinent les 2 roses de la célèbre guerre des Roses ( la rose rouge de la maison de Lancastre et la rose blanche de la mison d’York) et symbolise la paix retrouvée avec la dynastie des Tudor.
C’est aussi un puissant symbole héraldique traditionnel.
Sont également présents la jonquille du Pays de Galles, les trèfles de l’Irlande du Nord et les chardons d’Écosse.
L'héraldique
Comme dans l’invitation de son grand-père George VI, le roi et la reine sont mis en avant de manière égalitaire avec les blasons de leur famille. D’ailleurs, il n’est pas mentionné le terme de reine consort mais seulement de reine.
Le lion et la licorne sont les armoiries traditionnelles du roi et mis en évidence avec la devise royale.
Ce qui est à noter est la présence du sanglier dans l’armoirie de Camilla. Il a été emprunté à l’emblème de son père, le Major Bruce Sand, et il porte la jaretière, la Reine étant désormais Royal Lady de l’Ordre de la Jarretière.
Ici, on voit clairement toute la maitrise de A.Jamieson sur ce sujet (alors que moi je n’y connais clairement pas grand chose. L’occasion d’investiguer dans un prochain article peut-être?)
La tradition des invitations aux couronnements royaux
Les couronnements royaux ont toujours été des événements d’une grande importance, marquant le début d’un nouveau règne et célébrant la continuité de la monarchie. La tradition des invitations aux couronnements royaux remonte à des siècles et témoigne de l’importance accordée à ces cérémonies grandioses. Parler ici d’invitation m’a donné envie de mieux comprendre son importance dans le protocole royal.
Le choix des invités
A la cour britannique, les grands événements officiels sont à la fois l’occasion de rassembler et celle pour tester sa popularité. Depuis quelques décennies maintenant, les mariages et funérailles permettent de réunir membres de la famille royale, représentants du gouvernement, hauts dignitaires étrangers, mais aussi diverses personnalités du monde artistique, culturel et sportif. Le choix des invités est souvent le fruit d’un long processus de réflexion et de consultation entre le palais et le gouvernement, visant à créer une liste représentative des relations internationales et des valeurs du pays. Cette liste est source de toutes les convoitises, soumise à toutes les spéculations et largement commentée.
Au fil des siècles, les invitations aux couronnements royaux ont évolué pour s’adapter aux réalités politiques et sociales de chaque époque. Alors que les couronnements du Moyen Âge étaient principalement l’occasion de rassembler la noblesse et le clergé, les cérémonies d’aujourd’hui s’ouvrent à un public plus large et diversifié, reflétant les changements dans la société et le souci de la monarchie de s’inscrire dans une modernité.
Le protocole des invitations
Le protocole d’invitation aux couronnements royaux est un aspect crucial de ces événements, car il permet de maintenir l’ordre et l’étiquette lors de ces cérémonies hautement symboliques. Les invitations sont généralement envoyées plusieurs mois à l’avance, afin de donner aux invités le temps de se préparer et de s’organiser.
Les invitations sont souvent accompagnées d’un guide détaillé sur le protocole à suivre lors du couronnement, avec des instructions précises sur la tenue vestimentaire, le comportement et les interactions avec les autres invités et les membres de la famille royale. Par exemple, il est courant que les invités soient priés de porter des tenues traditionnelles ou formelles, telles que des chapeaux et robes formelles pour les femmes et des costumes ou des uniformes pour les hommes.
L'évolution historique des invitations aux couronnements royaux
Au fil des siècles, les invitations aux couronnements royaux ont connu de nombreuses évolutions, à la fois dans leur forme et dans leur contenu. Si les invitations médiévales étaient souvent manuscrites sur du parchemin, les invitations modernes sont imprimées sur du papier de haute qualité, avec des illustrations élaborées pour l’occasion.
De même, le contenu des invitations a évolué pour refléter les réalités politiques et sociales de chaque époque. Ainsi, alors que les invitations médiévales étaient souvent rédigées en latin et adressées uniquement aux nobles et aux membres du clergé, les invitations modernes sont rédigées dans la langue du pays et s’adressent à un public beaucoup plus large et diversifié.
Les invitations au couronnement de George III à Elizabeth II
A l’approche du couronnement de Charles III, les Archives Royales ont diffusé les invitations de ses illustres prédécesseurs, que la BBC s’est empressée de republier.
Le couronnement de George III en 1761
Il s’agit de la plus ancienne des invitations conservées par les Archives Royales.
On y voit George III et la reine Charlotte, tous deux couronnés le 22 Septembre 1761. Le couple venant de se rencontrer et de s’unir, il s’agissait là de montrer l’union du nouveau couple royal.
D’un point de vue artistique, il n’y a pas grand chose à commenter si ce n’est qu’il s’agit d’une gravure tout à fait typique de l’époque.
Le couronnement de la reine Victoria en 1838
Alors âgée de 18 ans, Victoria allait démarrer ainsi un règne long de 67 ans.
L’innovation ici est d’avoir imprimé les invitations en couleurs : en rouge ou en verte tout en embossant le sceau du Grand Maréchal d’Angleterre. C’est ainsi que vint la tradition d’apposer ce sceau sur toutes les invitations suivantes.
A défaut d’esthétisme, cette invitation traduisait la modernité de la révolution industrielle en cours.
Le couronnement de George VI en 1937
Si George VI avait de nombreux défis à relever après l’abdication surprise de son frère Edward VIII en décembre 1936, il a certainement envoyé mon invitation préférée. Elle est d’ailleurs non sans rappeler celle de son petit fils, Charles III …
En effet, elle met à l’honneur autant le roi que son épouse Elizabeth avec leurs monogrammes et les armoiries familiales. Ce qui est remarquable surtout, c’est qu’elle fourmille de détails végétaux en hommage à l’Empire Britannique, composé alors de l’Inde, du Canada, de la Nouvelle Zélande, de l’Afrique du Sud et de l’Australie, en sus du Royaume Uni. C’est en voyant tous ces éléments qu’on ne peut manquer de penser que cette invitation a forcément influencée celle de Charles III.
Le couronnement d'Elizabeth II en 1953
Si tout le monde se souvient du couronnement d’Elizabeth II comme étant le premier couronnement télévisé, peu se souviennent que son invitation était aussi historique.
En effet, c’est la première fois qu’une femme réalisait ce type d’invitation. Joan Hassall avait gagné le concours et réalisé à la hâte cette invitation en carte à gratter ainsi que celle personnalisée destinée au Prince Charles. Elizabeth II était enchantée de l’avoir comme lauréate car elle avait déjà réalisé un timbre à son effigie. Elle fut aussi première femme a être élue Maître de la Art Worker’s Guild.
Une fois n’est pas coutume, l’enluminure s’est retrouvée au cœur de l’actualité et des polémiques « People ». J’ai pris beaucoup de plaisir à investiguer sur ce sujet, et surtout à découvrir l’héraldique. C’est un sujet qui m’intrigue beaucoup et qui m’inspirerait un futur article. Qu’en pensez-vous ?
Merci pour toutes ces informations ! J’ai trouvé les explications sur l’invitation au couronnement de Charles III passionnantes ! C’est fou comme chaque petit détail est étudié et représente qqchose de bien précis… merci pour ce moment de plaisir!
Merci Jessica pour ton commentaire ! Effectivement, en voyant passer l’invitation sur Twitter je ne m’attendais pas à tomber dans autant de symboliques ! C’est ce qui est magique avec l’enluminure 😉
Cet article m’a passionné ! Merci 🙂 L’iconographie est tellement passionnante, surtout quand il s’agit d’iconographie qui a une vraie histoire derrière. Je trouve que ce carton d’invitation est magnifique personnellement. J’adore le printemps et les fleurs donc ça ne peut que me plaire. Mais en effet, reprendre un dieu païen pour son invitation n’a pas dû être vu d’un très bon œil, même si personnellement je trouve ça bien mais ça ne colle pas vraiment avec la religion officielle du Palais.
J’ai vraiment l’impression de me retrouver à une autre époque avec cette famille royale.
Sinon, en effet, utiliser des techniques modernes pour créer ce genre d’ouvre c’est dommage ! Surtout que je ne suis même pas certaine que la calligraphie soit faite à la main, les lettres se ressemblent bien trop.
Autre chose, pour le plus vieux carton d’invitation préservé, je vois quand même le Roi qui tourne son regard vers le peuple et son buste vers sa Reine. Alors que celle-ci est entièrement vouée à lui. Je trouve que symboliquement c’est intéressant.
Merci Flore pour tous tes commentaires. En tant que spécialiste de l’iconographie, tes remarques me touchent !
Je te conseille d’aller voir le site de Jamieson https://www.andrewstewartjamieson.co.uk/ pour découvrir tout son travail. Tu devrais aimer son univers très bucolique! Par contre, c’est vrai qu’il n’est pas très puriste dans ses méthodes. Pour la calligraphie, j’ai vu des photos où il était en train de le faire donc il doit avoir une régularité incroyable (je suis toujours admirative des calligraphes car je suis vraiment mauvaise sur la rigueur).
Et effectivement, d’une manière générale, la Royauté Britannique est vraiment dans un univers parallèle au nôtre. C’est pour ça que je trouverai formidable que le Green Man soit un clin d’œil pour dénoncer un système contre lequel il a été en désaccord toute sa vie !
Bonjour, votre article est passionnant; juste une queestion cependant, savez vous pourquoi on trouve toujours une harpe dans ces symboles? Merci encore de ces infos.
Merci beaucoup pour votre commentaire ! Je suis ravie qu’il vous plaise !
La harpe (celtique) est le symbole de l’île d’Irlande. L’Irlande du Nord étant toujours propriété du Royaume Uni, ses symboles (harpes et trèfles) sont donc représentés dans les armoiries royales.
La République d’Irlande (Eire) utilise aussi ces symboles. C’est pourquoi vous voyez une harpe sur les euros irlandais !