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D’où viennent les mystérieux escargots combattants du Moyen Âge ?

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Petite, j’étais fascinée par les escargots. Je pouvais les admirer sous toutes les coutures pendant des heures. Mais je suis loin d’être la seule à les trouver fascinants. L’escargot, cette créature humble et familière, occupe une place surprenante dans l’art et la littérature du Moyen Âge. Ce que je trouve intrigant, c’est la présence récurrente des gastéropodes dans les manuscrits enluminés, où ils apparaissent souvent dans des scènes inattendues, drôles et énigmatiques.

C’est pourquoi je me suis dit qu’il serait intéressant d’explorer la signification de ces escargots combattants dans les manuscrits médiévaux, en s’appuyant sur les recherches récentes et les interprétations des experts.

Les premières descriptions : une approche scientifique progressive

La première description connue de l’escargot remonte à Aristote dans son “Historia animalum”. Mais c’est Isidore de Séville qui, au VIIe siècle, devient la référence incontournable des encyclopédies et bestiaires médiévaux.

Ces premières descriptions demeurent toutefois approximatives, comme le démontre Julia Pineau, doctorante en littérature anglaise du XIVe siècle et auteure d’un prochain ouvrage sur l’escargot au Moyen Âge. Les textes de l’époque confondent fréquemment espèces terrestres et marines, n’attribuent que deux cornes au gastéropode et proposent des théories fantaisistes sur son origine, le faisant naître de la pourriture ou de la rosée matinale.

Il faut attendre le XIIIe siècle et les travaux d’Albert le Grand pour voir émerger la première observation véritablement scientifique de l’animal, qui mentionne enfin ses quatre cornes et décrit précisément ses yeux.

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Une présence variée dans la littérature médiévale

Des récits de voyage extraordinaires

Dans “Le livre des merveilles du monde” (XVe siècle), l’escargot prend des proportions fantastiques. Une illustration conservée à la Bibliothèque nationale de France montre même des hommes habitant des coquilles d’escargots géants d’Inde, témoignant de l’imaginaire débordant de l’époque

© Livre des merveilles du monde ou les secrets de l'histoire -BNF Français MS-22971, folio 60v
© Livre des merveilles du monde ou les secrets de l'histoire -BNF Français MS-22971-fol.60v

Une place importante dans les textes religieux

L’escargot apparaît fréquemment dans les sermons et les exempla. Julia Pineau cite notamment deux œuvres majeures : “Somme le roi” et “Le livre des vices et des vertus” par frère Laurent.

Dans ces textes, l’escargot incarne le péché d’acédie (la paresse spirituelle) et illustre le concept de pusillanimité (manque d’audace, de courage, de fermeté).

Des apparitions remarquables dans la littérature profane

L’escargot inspire également les auteurs profanes.

Dans “Troïlus et Criseyde“, Chaucer l’utilise comme métaphore du coup de foudre

“Le Roman de Renart” lui donne vie à travers le personnage de Tardif l’escargot, qui joue un rôle héroïque inattendu lors du siège de Maupertuis

Cette diversité des représentations littéraires témoigne de la richesse symbolique de l’escargot dans l’imaginaire médiéval, oscillant entre observation naturaliste et fantaisie créative.

Le mystérieux combat de l'escargot et du chevalier : une énigme médiévale

Parmi toutes les représentations de l’escargot dans l’art médiéval, une scène particulière fascine les historiens : le combat entre un escargot et un chevalier. Ce motif énigmatique, qui apparaît dans les marges des manuscrits, continue d’intriguer les chercheurs par sa récurrence et sa symbolique complexe.

Bréviaire dit de Marguerite de Bar, 1302-1303, VERDUN, Bibliothèque Municipale,
© Bréviaire dit de Marguerite de Bar, 1302-1303, VERDUN, Bibliothèque Municipale,

Un motif singulièrement populaire

Selon l’étude fondamentale de Lilian Randall, historienne de l’art, ce thème connaît un succès remarquable. On dénombre environ 70 représentations dans 29 manuscrits différents, avec une concentration particulière entre 1290 et 1310.

Apparu initialement en France au XIIIe siècle, le motif se diffuse rapidement en Angleterre avant de s’étendre aux Flandres, témoignant d’un véritable engouement artistique transfrontalier.

Des caractéristiques artistiques distinctives

Kenneth Clarke, maître de conférences en littérature médiévale à l’Université de York, souligne la sophistication de ces représentations :

  • Utilisation de matériaux précieux (lapis-lazuli, or)
  • Position stratégique dans les marges des manuscrits
  • Variations stylistiques significatives comme des escargots aux antennes pointées comme des épées ou  des créatures hybrides mi-homme mi-mollusque.
Psautier dit de Gorleston, 1320-1325, LONDRES, BL, Add. Ms. 49622, fol. 162v
© Psautier dit de Gorleston, 1320-1325, LONDRES, BL, Add. Ms. 49622, fol. 162v

Six interprétations majeures

Le Mundus Inversum

Marian Bleeke, professeure d’art médiéval à l’Université de Chicago, propose une lecture fondamentale :

“L’idée de base est le renversement des hiérarchies existantes ou attendues. C’est censé être surprenant et même drôle – je pense que nous le comprenons implicitement aujourd’hui.”

La critique des Lombards

L’historienne Lilian Randall développe une interprétation politique : une satire des Lombards, perçus comme lâches et usuriers dans la France médiévale. Kenneth Clarke précise :

“[les Lombards étaient présentés] comme ce groupe qui collectait des impôts, mais aussi impliqué dans l’usure.”

La question de la masculinité

Marian Bleeke observe : 

“Le chevalier devrait être courageux et fort, capable de vaincre tous les ennemis, mais ici il se recroqueville de peur devant un escargot ou est même vaincu par lui.”

La satire sociale

L’escargot, portant sa maison sur son dos, devient une métaphore des marchands itinérants et de la mobilité sociale nouvelle de la bourgeoisie.

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Le symbolisme sexuel

Julia Pineau révèle une dimension érotique, appuyée par la découverte d’amulettes associant l’escargot à des représentations sexuelles explicites.

Les préoccupations agricoles

Une interprétation plus pragmatique y voit la représentation des inquiétudes des viticulteurs face aux dégâts causés par les escargots dans leurs cultures.

Comme le souligne Kenneth Clarke, la multiplicité de ces interprétations témoigne de la complexité du motif :

“C’étaient des livres très, très, très chers, avec un très petit nombre de lecteurs.”

Cette rareté et cette préciosité ajoutent encore au mystère de ces représentations uniques.

Très riches heures de Metz, début XIVe siècle,
© Très riches heures de Metz, début XIVe siècle,

L'escargot dans l'art religieux : entre péché et rédemption

L’escargot occupe une place singulière dans l’iconographie religieuse médiévale. Au-delà de sa présence dans les manuscrits enluminés, il devient un véritable symbole spirituel, porteur de multiples significations.

Une riche symbolique spirituelle

Dans la pensée religieuse médiévale, l’escargot incarne une dualité fascinante.

Il représente d’abord le péché d’acédie, cette paresse spirituelle particulièrement redoutée par l’Église. Sa lenteur et sa tendance à se replier dans sa coquille symbolisent la pusillanimité, cette faiblesse d’âme que les textes religieux condamnent.

Paradoxalement, ce même mouvement de repli et de sortie de sa coquille fait de l’escargot un symbole christique puissant. Son cycle naturel évoque la mort et la résurrection du Christ, donnant à cette humble créature une dimension mystique inattendue.

On retrouve l’escargot aux côtés de grandes figures de la pénitence, notamment Saint Jérôme et Saint François d’Assise. Sa présence auprès de ces saints illustre l’humilité et le retrait volontaire du monde, vertus fondamentales de la spiritualité médiévale.

Une présence monumentale

Le symbolisme de l’escargot s’exprime également dans la pierre. Julia Pineau a recensé plusieurs exemples remarquables de sculptures d’escargots à Notre-Dame de Paris et dans les collections du musée de Cluny. Ces représentations sculpturales ne sont pas de simples ornements : elles créent une illusion de mouvement et guident le regard des fidèles vers le haut, participant ainsi à l’élévation spirituelle.

L’escargot s’invite même dans le mobilier liturgique. Un exemple particulièrement intrigant est celui d’un siège pliant orné du motif de l’escargot guerrier, témoignant de l’omniprésence de ce symbole dans l’espace sacré médiéval.

Cette intégration de l’escargot dans l’art religieux monumental souligne l’importance accordée à ce symbole par l’Église médiévale. De la miniature à la sculpture, l’escargot traverse les échelles et les matériaux pour porter son message spirituel complexe, entre rappel du péché et promesse de rédemption.

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© Office de tourisme Cathédrale de Rodez
© Office de tourisme Cathédrale de Rodez

L'escargot au quotidien : des usages pratiques au prestige royal

Au-delà de ses représentations artistiques et symboliques, l’escargot occupait une place importante dans la vie concrète du Moyen Âge. De l’assiette du paysan aux vêtements des rois, ses usages étaient aussi variés qu’essentiels.

Un animal aux multiples utilités

L’escargot constituait une ressource alimentaire précieuse, particulièrement pour les classes populaires qui appréciaient son accessibilité et sa facilité de récolte. Il jouait un rôle significatif pendant les périodes de jeûne, servant notamment de substitut de viande pour les communautés juives qui devaient respecter des restrictions alimentaires spécifiques.

Dans le domaine médical, Hildegarde de Bingen, figure majeure de la médecine médiévale, accordait une place importante à l’escargot dans ses écrits. On l’utilisait pour soigner diverses affections : brûlures, infections et problèmes dentaires bénéficiaient des vertus thérapeutiques qu’on lui attribuait.

Les coquilles d’escargot trouvaient également leur utilité dans la vie quotidienne, servant notamment à la fabrication de lanternes à huile primitives. Plus surprenant encore, une tradition héritée de l’Antiquité et perpétuée par les premiers chrétiens consistait à déposer des coquilles dans les tombes, symbolisant le cycle de la vie et la persistance au-delà de la mort.

Le pourpre de Tyr : une teinture prestigieuse

Psautier de Dagulf – 782-795 – Österreichische Nationalbibliothek – Cod 1861
© Psautier de Dagulf – 782-795 – Österreichische Nationalbibliothek – Cod 1861

Mais c’est peut-être dans la production du pourpre que l’escargot – plus précisément certaines espèces marines comme le murex – atteignait son plus haut prestige. Cette teinture précieuse nécessitait des ressources considérables : il fallait environ 10 000 escargots pour teindre une seule toge. Cette rareté en faisait un produit luxueux, réservé à la noblesse et à la royauté.

Le prestige du pourpre de Tyr a laissé son empreinte jusque dans l’art de l’enluminure. On retrouve cette couleur somptueuse dans les manuscrits carolingiens, où elle symbolise le pouvoir et la richesse. Ainsi, l’humble escargot contribuait-il, indirectement, à la création des plus beaux manuscrits médiévaux.

L’escargot des manuscrits médiévaux révèle une richesse symbolique insoupçonnée. Du combat contre les chevaliers aux usages du pourpre royal, il incarne les multiples facettes de la société médiévale.

Son étude dévoile les préoccupations majeures d’une époque : tensions sociales, questionnements religieux et évolutions politiques se lisent dans ses représentations. Les 70 illustrations recensées dans 29 manuscrits précieux témoignent de son importance dans l’imaginaire médiéval.

Kenneth Clarke le résume parfaitement : ces illustrations apparaissent dans “des livres très, très, très chers, avec un très petit nombre de lecteurs.” Un paradoxe qui souligne la sophistication d’une époque où même le plus humble des animaux pouvait porter les messages les plus profonds.

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