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Les Très Riches Heures du Duc de Berry, ce joyau incontesté de l’enluminure médiévale, s’apprêtent à nous révéler leurs secrets les plus intimes. Après des siècles d’admiration et d’études, ce manuscrit exceptionnel a quitté pour la 1ère fois le Château de Chantilly pour faire l’objet d’une campagne de restauration et d’analyse sans précédent. L’occasion pour nous de plonger une nouvelle fois dans les mystères de ce chef-d’œuvre et de découvrir les coulisses fascinantes de sa conservation.
Sommaire
ToggleLes Très Riches Heures : un livre d'exception au destin mouvementé
Une commande princière devenue chef-d'œuvre
Né de la volonté du duc Jean de Berry, l’un des plus grands mécènes de son temps, ce manuscrit illustre parfaitement la passion du duc pour les livres d’heures. Comme nous l’avons vu précédemment, Jean de Berry ne possédait pas moins de six livres d’heures, chacun plus somptueux que le précédent. Les Très Riches Heures devaient surpasser tous les autres, une ambition pleinement réalisée.
Le génie des frères de Limbourg et de Jean Colombe
Si les Très Riches Heures fascinent encore aujourd’hui, c’est en grande partie grâce au talent exceptionnel des frères de Limbourg. Ces trois jeunes artistes originaires des Pays-Bas ont révolutionné l’art de l’enluminure par leur maîtrise inégalée de la lumière, de la perspective et du réalisme des détails. Leur style unique, mêlant influences flamandes et italiennes, a ouvert la voie à la Renaissance tout en portant l’art gothique à son apogée.
Une œuvre collective à travers les siècles
L’histoire des Très Riches Heures ne s’arrête pas à la mort prématurée des frères de Limbourg en 1416. D’autres artistes talentueux, notamment l’immense Jean Colombe, ont contribué à l’achèvement du manuscrit au cours du XVe siècle, chacun apportant sa touche personnelle tout en respectant l’esprit original de l’œuvre. Cette succession d’interventions fait des Très Riches Heures un véritable témoin de l’évolution de l’art au XVe siècle.
Un voyage à travers l'Europe
De sa création à Bourges jusqu’à son acquisition par le duc d’Aumale en 1856, le manuscrit a connu une histoire mouvementée. Son passage en Italie notamment, a contribué à enrichir sa légende tout en le préservant des troubles qui agitaient la France. Ce parcours sinueux a finalement conduit les Très Riches Heures au musée Condé du château de Chantilly, où elles font aujourd’hui l’objet d’une attention toute particulière.
Un manuscrit mythique à travers les âges
Redécouverte et célébrité au XIXe siècle
Après des siècles d’oubli relatif, les Très Riches Heures connaissent un regain d’intérêt spectaculaire au XIXe siècle. L’acquisition du manuscrit par le duc d’Aumale en 1856 marque le début d’une nouvelle ère pour ce chef-d’œuvre. Le duc, fin connaisseur et collectionneur passionné, comprend immédiatement l’importance de sa découverte et fait étudier le manuscrit par les meilleurs spécialistes de son temps.
Une source d'inspiration inépuisable
Au fil des décennies, les Très Riches Heures sont devenues bien plus qu’un simple manuscrit enluminé. Elles ont nourri l’imaginaire de nombreux artistes et créateurs, bien au-delà du cercle des historiens de l’art.
C’est en les découvrant dans Verve, revue artistique et littéraire, que Jacques Prévert se met à écrire l’histoire des Visiteurs du soir. On pense notamment à l‘influence qu’elles ont eue sur les décors des films de Walt Disney, comme Blanche-Neige et les Sept Nains ou La Belle au Bois Dormant. Cette capacité à inspirer, siècle après siècle, est l’une des marques de la grandeur des Très Riches Heures.
Walt Disney, quant à lui, a admiré les Riches Heures du Duc de Berry au Château de Chantilly. Il s’en est largement inspiré pour les décors des films Blanche-Neige et les Sept Nains ou pour la direction artistique de La Belle au Bois Dormant.
Cette capacité à inspirer, siècle après siècle, est l’une des marques de la grandeur des Très Riches Heures.
Un témoin de notre vision du Moyen Âge
Les Très Riches Heures ont largement contribué à façonner notre perception du Moyen Âge.
Les scènes de la vie quotidienne représentées dans le célèbre calendrier, en particulier, sont devenues des images emblématiques de cette période. Elles nous offrent une fenêtre unique sur le monde médiéval, même si cette vision est bien sûr idéalisée et filtrée par le regard des artistes et de leurs commanditaires.
Cette capacité à captiver l’imagination et à nous transporter dans le passé n’a pas échappé à Umberto Eco, l’un des plus grands passionnés du Moyen Âge de notre époque. L’auteur du “Nom de la Rose” était littéralement fasciné par les Très Riches Heures. Dans la préface qu’il a rédigée pour une édition des Très Riches Heures du Duc de Berry par Raymond Cazelles et Jean Longnon, Umberto Eco écrivait :
« Les Très Riches Heures sont un objet extraordinaire parce qu’elles encouragent mille itinéraires différents de l’imagination ».
Pour Eco, la puissance évocatrice de ce manuscrit dépassait même celle du cinéma. Il affirmait avec conviction :
« aucun film ne pourra égaler la fidélité, la splendeur, la touchante beauté de cette reconstruction ».
Ces mots résonnent comme un hommage vibrant à la capacité des Très Riches Heures à nous faire voyager dans le temps, à nous immerger dans un Moyen Âge à la fois familier et mystérieux.
Un diagnostic high-tech pour un patient de 600 ans
Les Très Riches Heures du Duc de Berry ont quitté exceptionnellement leur écrin du musée Condé pour un examen approfondi au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) en vue de la grande exposition prévue pour 2025.Cette sortie, aussi rare qu’importante, marque le début d’une campagne d’étude sans précédent.
Un arsenal technologique de pointe
Pour ausculter ce vénérable manuscrit, les experts du C2RMF ont déployé un impressionnant arsenal de techniques non invasives :
- Microscopie numérique à très haute résolution
- Imagerie hyperspectrale
- Photographies sous différents éclairages (lumière directe, rasante, ultraviolets, infrarouges)
Ces examens, menés sur une sélection de 30 feuillets représentatifs, permettent d’obtenir des informations inédites sur l’état du manuscrit et ses techniques de réalisation.
À la recherche des secrets des maîtres enlumineurs
Au-delà du simple diagnostic de conservation, ces analyses high-tech nous plongent dans l‘intimité du travail des artistes médiévaux. Elles révèlent :
- Les esquisses préparatoires cachées sous la couche picturale
- La composition précise des pigments et des liants utilisés
- Les repentirs et modifications effectués en cours de réalisation
- Les différences de technique entre les divers artistes ayant travaillé sur le manuscrit
Comme le souligne Marie-Pierre Dion, conservatrice au musée Condé :
“C’est un émerveillement constant que de pouvoir découvrir ces œuvres autrement qu’à l’œil nu, d’entrer dans l’intimité du travail des peintres à six siècles de distance.”
Un patient fragilisé par le temps
Si les Très Riches Heures ont remarquablement traversé les siècles, le diagnostic établi par le C2RMF révèle néanmoins plusieurs fragilités inquiétantes.
Une reliure fatiguée
La reliure actuelle, datant du XVIIIe siècle, montre des signes évidents d’usure :
- Le cuir de la couverture est éraflé et présente des traces d’usure
- Certaines coutures sont rompues, induisant des tensions sur les cahiers
- Des déformations sont visibles, notamment une ondulation des pages
Un parchemin malmené
Le support même du manuscrit n’est pas épargné :
- Des déchirures sont apparues, particulièrement au fond des premiers cahiers
- Certaines zones sont salies, notamment dans les marges
- On observe des ondulations et des plis dus aux tensions
L'or et les pigments en danger
La couche picturale, véritable trésor du manuscrit, présente elle aussi des signes de faiblesse :
- Des écaillements sont visibles sur certaines zones peintes
- L‘or tend à se craqueler par endroits
- Certains pigments, comme le vert de cuivre, ont tendance à s’oxyder
Ce qui inquiète particulièrement les conservateurs, c’est la progression de ces altérations. Comme l’explique Marie-Pierre Dion :
“Certains signes d’usure sont inquiétants. Il est apparu nécessaire d’en comprendre les origines et de faire en sorte que les dégradations ne s’accentuent pas”.
Un chantier de restauration d'envergure
Face à ce diagnostic, une vaste campagne de restauration a été planifiée. L’objectif n’est pas de “rajeunir” artificiellement le manuscrit, mais de stopper les dégradations et d’assurer sa transmission aux générations futures.
Consolider la structure
Plusieurs interventions sont prévues pour assurer la pérennité du manuscrit :
La reliure sera restaurée. Les coutures seront refaites, notamment pour limiter les tensions sur le corps d’ouvrage
Les déchirures du parchemin seront également restaurées. Les marges salies seront nettoyées et les ondulations remises à plat.
Le défi de la couche picturale
“La partie la plus complexe concerne les couches picturales, notamment celles des frères Limbourg”,
souligne Marie-Pierre Dion. Les restaurateurs devront traiter les manques, soulèvement et abrasions listés précédemment.
Pour cette étape délicate, les scientifiques pourront s’appuyer sur l’expérience du Metropolitan Museum of Art de New York, qui a mené une restauration similaire sur les “Belles Heures du duc de Berry”.
Une approche minutieuse et réversible
Chaque intervention sera soigneusement documentée et réalisée avec des produits réversibles. Les restaurateurs utiliseront des techniques éprouvées telles que le refixage des écaillements à l’aide de colles naturelles, la consolidation des pigments fragilisés et des retouches ponctuelles pour harmoniser l’ensemble.
Une exposition événement en 2025
La restauration des Très Riches Heures du Duc de Berry n’est pas une fin en soi, mais une étape cruciale vers un événement exceptionnel : une exposition majeure prévue au Château de Chantilly de juin à octobre 2025.
Une présentation inédite du manuscrit
Cette exposition offrira une opportunité unique aux visiteurs.
Pour la première et sans doute la dernière fois avant longtemps, les douze premiers feuillets du manuscrit dérelié seront présentés ensemble, permettant d’admirer l’ensemble des enluminures du célèbre calendrier.
Le manuscrit lui-même, avec sa reliure restaurée et ses deux cents feuillets, sera exposé dans une vitrine spéciale. La page présentée sera régulièrement changée, comme pour le Livre de Kells, offrant ainsi un aperçu plus complet de l’œuvre.
Un voyage au cœur de la "Joconde des manuscrits"
L’exposition promet une plongée inédite dans cette œuvre hors normes.
Les visiteurs découvriront les étapes de création du manuscrit et les différentes personnalités artistiques qui y ont contribué ainsi que l’histoire de sa redécouverte au XIXe siècle sera retracée.
L’influence du manuscrit sur les artistes qui ont pu l’approcher sera explorée, ce qui sera l’occasion d’expliquer les raisons de l’engouement qu’il suscite encore aujourd’hui.
La science au service de l'art
Ce sera aussi l’occasion de mettre en avant les récentes études menées par le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, notamment l’imagerie scientifique et les secrets de fabrication des différents enlumineurs.
Jean de Berry et son héritage
L’exposition s’attardera évidemment sur la figure emblématique de Jean de Berry, son mécénat et sa passion pour les livres en présentant une large partie de sa bibliothèque.
Et surtout, pour la première fois depuis la mort du prince en 1416, tous ses livres d’heures aujourd’hui connus seront réunis, y compris les Belles Heures conservées au Metropolitan Museum of Art.
Bourges à l'honneur
La ville de Bourges, qui tisse des partenariats avec le musée Condé dans le cadre de la Capitale européenne de la Culture 2028, sera également mise en valeur dans cette exposition.
Des prêts d’œuvres illustreront l’importance et l’influence de Bourges au XVe siècle.
L’exposition soulignera le rôle de la ville comme centre de culture humaniste et pôle d’attraction pour les artistes innovants de l’époque.
Cette présentation s’inscrit dans la continuité des expositions récentes du musée de Cluny (Les Arts sous Charles VII) et de la Bibliothèque nationale de France (L’invention de la Renaissance), mettant en lumière l’influence cruciale de Bourges dans le paysage culturel du XVe siècle.
Cette section de l’exposition permettra aux visiteurs de découvrir ou redécouvrir Bourges comme une ville audacieuse et innovante de la fin du Moyen Âge, un centre culturel majeur où les artistes convergeaient, innovaient et laissaient leur empreinte. Elle offrira ainsi un contexte riche pour mieux comprendre l’environnement dans lequel les Très Riches Heures ont été créées.
Préserver et partager : l'héritage numérique des Très Riches Heures
La restauration et l’exposition prévue en 2025 ne sont que des étapes dans la vie de ce manuscrit exceptionnel. Parallèlement à ces efforts de conservation physique, des initiatives numériques sont déjà en cours pour assurer la pérennité et l’accessibilité de ce chef-d’œuvre.
Depuis 2020, une version numérique des Très Riches Heures est disponible gratuitement en ligne.
Il est ainsi possible pour le grand public, comme les chercheurs de découvrir le manuscrit dans ses moindres détails, sans risque pour l’original.
Participez à la préservation d'un chef-d'œuvre
Alors que les Très Riches Heures s’apprêtent à révéler leurs secrets sous l’œil attentif des restaurateurs, une opportunité unique s’offre aux passionnés d’art et d’histoire : celle de contribuer directement à la préservation de ce joyau de l’enluminure médiévale.
Le musée Condé et la Fondation pour la sauvegarde de l’art français ont lancé une campagne de parrainage inédite : la possibilité de parrainer l’une des célèbres pages de mois du calendrier. Ces douze enluminures, véritables joyaux du manuscrit, peuvent être “adoptées” par des mécènes, qu’il s’agisse de particuliers, d’entreprises ou d’institutions.
En parrainant une page, vous contribuez directement aux travaux de restauration et de conservation. C’est une occasion unique de lier votre nom à l’une des œuvres les plus emblématiques de l’art médiéval.
La restauration des Très Riches Heures du Duc de Berry est bien plus qu’une simple opération de conservation. C’est l’occasion de redécouvrir un chef-d’œuvre qui, six siècles après sa création, n’a rien perdu de sa capacité à nous émerveiller (et j’en sais quelque chose).
En conjuguant les technologies les plus avancées et le savoir-faire traditionnel des restaurateurs, ce chantier ouvre de nouvelles perspectives sur l’art médiéval. Il prépare aussi la transmission de ce patrimoine exceptionnel aux générations futures, pour que la magie des Très Riches Heures continue d’opérer encore longtemps.
Pour aller plus loin : la capsule audio de France Culture