Dans ce 6ème épisode du Monde des Enluminures, nous allons revenir à l’origine du parchemin et découvrir ses usages et procédés de fabrication.
Pour en savoir plus et trouver des adresses de parcheminiers, n’hésitez pas à consulter cet article.
Bienvenue dans cet épisode consacré à l’une des composantes phare de l’enluminure, le parchemin. Mais qu’est-ce que c’est exactement le parchemin ? Comment est-il fabriqué ? Utilisé ? Découvrons ensemble dans cet épisode tous les secrets de ce matériel.
Le parchemin est l’un des trois éléments indispensables de toute enluminure au côté de l’or et du pigment. Son importance est telle que la première fois qu’on se trouve face à une peau entière à préparer, on peut se sentir intimidé et se poser mille et une questions sur comment faire.
L’histoire du parchemin remonte à l’Antiquité, plus précisément au 2e siècle avant notre ère. C’est à Pergame, une cité grecque d’Asie Mineure, que tout commence. La légende raconte que le roi Eumène II, déterminé à créer une bibliothèque qui rivaliserait avec celle d’Alexandrie, se heurta à un embargo égyptien sur le papyrus. Les Ptolémées, craignant la concurrence, avaient en effet décidé de bloquer les exportations de ce précieux support d’écriture.
Face à cette situation, les artisans de Pergame ont dû innover. Ils ont perfectionné une technique déjà connue de traitement des peaux pour en faire un support d’écriture de qualité supérieure. Ce nouveau matériau, appelé « pergamenum » en latin, tire son nom de la ville de Pergame.
Le parchemin s’est rapidement révélé supérieur au papyrus sous plusieurs aspects. Plus résistant, il pouvait être utilisé des deux côtés, plié sans se briser, et même gratté pour être réutilisé – donnant naissance aux fameux palimpsestes. Cette innovation a marqué un tournant dans l’histoire de l’écrit, permettant notamment le développement du codex, l’ancêtre de nos livres actuels.
La fabrication traditionnelle du parchemin
Les archives nous ont transmis deux recettes historiques principales. Au 8e siècle, il était recommandé d’immerger la peau dans la chaux pendant une période variant de 3 jours à un mois et demi. Les textes médiévaux, quant à eux, mettent l’accent sur un nettoyage minutieux au rasoir pour éliminer les impuretés, suivi d’un ponçage à la pierre ponce pour retirer poils et nerfs.
La fabrication actuelle, héritière de ces traditions, suit un processus rigoureux qui s’étend sur environ six semaines :
- D’abord, un bain chaud qui permet de débarrasser la peau des poils et de la chair
- Puis vient la mise sous tension, accompagnée d’un raclage méticuleux des deux faces avec un grattoir
- L’ébourage suit pour éliminer les poils persistants
- L’effleurage permet ensuite de nettoyer l’épiderme de ses derniers résidus
- L’étirement et le séchage naturel sur cadre constituent une étape cruciale
- Enfin, le ponçage final à la pierre ponce parfait la surface
Cette complexité explique le coût élevé du parchemin et la quantité importante de peaux nécessaires pour réaliser un ouvrage. Le Livre de Kells, par exemple, a nécessité environ 150 peaux, tandis que la Bible de Winchester en a requis près de 250.
La diversité des parchemins
Les parchemins se vendent aujourd’hui sous deux formes : la peau entière ou la feuille découpée au format standard. Pour l’enluminure, la peau entière est privilégiée car elle offre plus de flexibilité et s’avère plus économique.
Chaque type d’animal donne un parchemin aux caractéristiques uniques :
- Le chevreau offre un parchemin clair au grain fin
- La chèvre produit un parchemin clair mais plus grainé
- L’agneau donne un parchemin très clair, presque sans grain
- Le mouton produit un parchemin doré, plus épais et plus gras
- Le vélin, fait de veau mort-né, est exceptionnellement clair et lisse
À travers l’histoire, certains parchemins ont reçu des traitements particuliers. L’époque carolingienne a vu l’émergence de parchemins pourpres, tandis que la cour de Bourgogne au XVe siècle appréciait particulièrement les « heures noires flamandes » sur parchemin noir. Ces variétés teintées, particulièrement fragiles, sont devenues très rares.
L'utilisation du parchemin en enluminure
La préparation du parchemin pour l’enluminure nécessite un savoir-faire particulier. Les artistes adoptent différentes approches : certains optent pour une tension sur cadre, d’autres préfèrent le clouer sur un support en bois, et d’autres encore choisissent de le coller sur un carton avant de commencer leur travail. Quelle que soit la méthode choisie, le ponçage initial est incontournable, réalisé soit avec de la ponce pure, soit avec un mélange spécifique de poudre de pierre ponce.
Après le ponçage, vient une étape cruciale : le nettoyage du support avec une solution de vinaigre et d’eau déminéralisée. Cette préparation est délicate car le parchemin est un matériau vivant, particulièrement réactif aux conditions atmosphériques. L’humidité est son principal ennemi : elle peut provoquer des tensions et des relâchements qui risquent d’endommager la peinture et la dorure. C’est pourquoi les enluminures doivent être conservées dans un environnement aux conditions stables, sec et tempéré.
Le parchemin au XXIe siècle
Face aux préoccupations contemporaines, des alternatives végétales commencent à émerger. Ces nouveaux supports se présentent généralement sous forme de feuilles calibrées semi-transparentes. Bien qu’intéressantes, ces alternatives ne parviennent pas encore à reproduire parfaitement les qualités uniques du parchemin traditionnel.
Le parchemin trouve aujourd’hui de nouvelles applications. Au-delà de son utilisation traditionnelle dans l’enluminure et les instruments de percussion, il connaît un renouveau dans le design haut de gamme et la décoration d’intérieur. Ses qualités naturelles – sa résistance, sa translucidité et son aspect unique – séduisent les créateurs contemporains.
Malgré ces évolutions, le parchemin reste un matériau d’exception qui inspire le respect. Chaque feuille représente non seulement l’animal dont elle provient, mais aussi tout un héritage artisanal. L’enluminure devient ainsi plus qu’une simple technique artistique : elle est un moyen de sublimer ce matériau millénaire et de perpétuer une tradition ancestrale.