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Calendriers médiévaux : miroirs du temps et de la vie médiévale

  • Temps de lecture :18 min de lecture
Les calendriers médiévaux, en particulier ceux présents dans les livres d’heures, sont bien plus que de simples outils d’organisation du temps. Ces œuvres d’art, ornées de magnifiques enluminures représentant les mois de l’année, nous offrent un aperçu fascinant de la vie quotidienne, des croyances et des aspirations de nos ancêtres.
Dans cet article, nous explorerons la richesse de ces calendriers médiévaux, véritables témoins de l’iconographie de l’époque. Embarquez pour un passionnant voyage à travers les siècles !

Des saisons aux mois : une transition millénaire

Les calendriers n’ont pas toujours ressemblé à ce que nous connaissons aujourd’hui. Leur évolution est le reflet des changements dans la perception du temps et de la société.

L'héritage antique

Dans l’Antiquité, les premières représentations du temps annuel étaient souvent liées aux cycles agricoles et aux saisons.

La frise hellénistique d’Athènes (IIe-Ier siècle av. J.-C.) est considérée comme pionnière. Elle représentait probablement les mois ou les saisons sous forme de figures allégoriques.

Les Romains ont développé des calendriers plus élaborés, comme le calendrier de Filocalus (354 apr. J.-C.), qui incluait des illustrations pour chaque mois.

Ces représentations antiques mêlaient souvent mythologie, astrologie et activités saisonnières.

© Wikipedia

La transition carolingienne (VIIIe-IXe siècles)

L’époque carolingienne  marque un tournant important dans l’évolution des calendriers.

Le calendrier de Salzbourg (818) est un exemple clé de cette transition. Il fusionne les personnifications antiques avec des scènes de genre plus réalistes, reflétant la vie quotidienne de l’époque.

Cette période voit l’introduction progressive d’éléments chrétiens dans les représentations calendaires, comme les fêtes des saints.

Les manuscrits carolingiens commencent à inclure des cycles de travaux mensuels, illustrant les activités agricoles typiques de chaque mois.

Calendrier de Salzbourg

L'essor des calendriers sculptés et peints (XIe-XIVe siècles)

À partir du XIe siècle, mais surtout aux XIIe et XIIIe siècles, on observe une évolution significative dans la représentation des calendriers en Europe :

  • Calendriers sculptés : Ils deviennent largement majoritaires en Europe. Le portail Saint-Ursin de Bourges est reconnu comme le plus ancien calendrier sculpté de France.

  • Peintures murales : Les églises adoptent également le thème du calendrier dans leurs décorations peintes. En France, ces calendriers peints sont généralement situés sur l’intrados de l’arc triomphal. L’église de Brinay offre un exemple remarquable, présentant le seul calendrier peint d’église du XIIe siècle intégralement conservé.

Cette période, s’étendant jusqu’au XIVe siècle, est considérée comme l’âge d’or des représentations des travaux des mois dans la décoration des églises. Ces calendriers, qu’ils soient sculptés ou peints, jouent un rôle pédagogique important, permettant d’enseigner le rythme des saisons et des fêtes religieuses à une population majoritairement illettrée.

Portail de l'église St Ursin
Portail St Ursin © Mossot
Calendrier de l'Eglise de Brinay © Lemaire1957

L'établissement du modèle médiéval

À partir du XIe siècle, un nouveau modèle de représentation calendaire s’établit, que nous associons aujourd’hui au Moyen Âge.

Les représentations monumentales, comme celles des portails des églises de Vézelay ou de Chartres, deviennent populaires. Elles présentent souvent des cycles complets des mois et des saisons.

portail royal cathédrale de Chartres
© Cathédrale de Chartres

Ces représentations sculptées combinent généralement :
a) Les travaux des mois (activités agricoles ou artisanales)
b) Les signes du zodiaque correspondants
c) Parfois des allégories des saisons

Progressivement, ces représentations monumentales cèdent la place aux manuscrits enluminés, plus intimes et détaillés.

Les psautiers et les bréviaires commencent à inclure des calendriers enluminés en préface, établissant une tradition qui culminera avec les livres d’heures.

Tympan Basilique de Vezeleay
© Basilique de Vezelay

Évolution des thèmes et des styles

Au fil du temps, on observe une évolution des thèmes représentés. Si les travaux agricoles restent prédominants, on voit apparaître de plus en plus de scènes de la vie noble ou urbaine.

Les styles artistiques évoluent également, passant du style roman au gothique, avec une attention croissante aux détails et au réalisme.

L’influence de l’Église se fait sentir dans le choix des thèmes et l’inclusion de fêtes religieuses importantes dans les calendriers.

Innovations techniques et conceptuelles

Cette période voit aussi des innovations dans la conception même du calendrier. Par exemple, l’introduction du comput ecclésiastique pour calculer la date de Pâques.

On assiste à une standardisation progressive du calendrier, bien que des variations régionales persistent.

L’utilisation croissante de l’écriture et de l’enluminure permet une représentation plus précise et détaillée du temps.

Anatomie d'un Calendrier Médiéval

Une Structure Bien Huilée

Les calendriers médiévaux suivent une structure précise et bien établie. Ils se composent généralement de 12 mois, allant de janvier à décembre, bien que quelques rares exceptions existent. Une caractéristique notable est la présence fréquente des signes du zodiaque en parallèle des mois, établissant un lien entre le cycle terrestre et céleste.

La composition de ces calendriers révèle un équilibre soigneusement pensé entre différents types de représentations. On y trouve typiquement un mélange de scènes, avec une prédominance des activités agricoles (couvrant 7 à 8 mois) complétées par des représentations plus symboliques (pour 4 à 5 mois). Cette répartition reflète l’importance du cycle agricole dans la vie médiévale tout en laissant place à des éléments plus allégoriques ou festifs.

Un Miroir des Activités Saisonnières

Chaque mois du calendrier médiéval est associé à une activité spécifique, offrant ainsi un véritable miroir du rythme de la vie à cette époque.

  • Janvier ouvre souvent l’année avec la représentation d’un banquet, symbolisant les festivités du Nouvel An et peut-être la fin de la période de repos hivernal.
  • Février montre typiquement un homme se chauffant près du feu, illustration parfaite de la rudesse de l’hiver et de la nécessité de se protéger du froid.
  • Mars annonce le réveil de la nature avec la taille de la vigne, une activité cruciale pour la viticulture médiévale.
  • Avril et Mai évoquent le printemps à travers des scènes courtoises ou de chasse au faucon, reflétant les loisirs de la noblesse à cette saison plus clémente.
  • Juin et Juillet représentent les temps forts de l’été avec la fenaison puis la moisson, des activités agricoles essentielles.
  • Août et Septembre poursuivent le cycle agricole avec le battage des céréales et les vendanges, marquant la fin de l’été et le début de l’automne.
  • Octobre est souvent illustré par les semailles ou le labour, préparant déjà l’année suivante et soulignant la nature cyclique du travail agricole.
  • Novembre et Décembre closent l’année avec l‘abattage du porc, une activité cruciale pour la constitution des réserves alimentaires hivernales, et les festivités de fin d’année.
Les Très Riches Heures du Duc de Berry Folio 2 février
© Musée Condé

Les Livres d'Heures : Écrins de Luxe pour les Calendriers

Qu'est-ce qu'un Livre d'Heures ?

Les livres d’heures sont des ouvrages religieux qui ont connu une immense popularité à la fin du Moyen Âge. Ces recueils de prières, conçus pour un usage personnel, permettaient aux laïcs de structurer leur dévotion quotidienne selon le modèle monastique des heures canoniales. Une caractéristique invariable de ces livres est qu’ils débutent par un calendrier. Ce calendrier remplit une double fonction : d’une part, il sert d’aide-mémoire pratique pour les fêtes religieuses, permettant au propriétaire de suivre le rythme de l’année liturgique ; d’autre part, il offre un support de méditation, invitant à la réflexion sur le passage du temps et les cycles de la vie.

Des Œuvres d'Art Personnalisées

Ce qui distingue particulièrement les calendriers des livres d’heures, c’est leur caractère hautement personnalisé. Chaque livre est une création unique, reflet des goûts, des moyens financiers et du statut social de son propriétaire. Cette personnalisation se manifeste dans le choix des saints représentés, l’inclusion de fêtes locales, mais surtout dans la richesse et le style des enluminures.

Deux exemples illustres mettent en lumière cette dimension artistique et personnelle des livres d’heures :

  • Les Très Riches Heures du Duc de Berry : Ce manuscrit, considéré comme l’un des plus beaux exemples de l’art gothique international, a été réalisé entre 1413 et 1416 par les frères de Limbourg pour Jean Ier de Berry. Les pages de calendrier de cet ouvrage sont de véritables chefs-d’œuvre picturaux. Elles offrent un mélange saisissant de scènes rurales, représentant les travaux des champs et les activités saisonnières, avec des vues détaillées des châteaux du duc. Ces illustrations ne sont pas seulement décoratives, mais témoignent aussi de la puissance et de la richesse du commanditaire.

  • Les Heures d’Anne de Bretagne : Créées entre 1503 et 1508 pour la reine de France, ces heures se démarquent par la précision scientifique étonnante de leurs bordures botaniques. Chaque page est ornée de représentations minutieuses de plantes et de petits animaux, reflétant l’intérêt croissant pour l’observation de la nature à l’aube de la Renaissance. Ces illustrations ne sont pas de simples ornements, mais de véritables études botaniques, témoignant de l’érudition et des centres d’intérêt de la reine.

Ces exemples montrent comment les livres d’heures, et en particulier leurs calendriers, sont devenus des objets de prestige, alliant dévotion personnelle et expression artistique.

Au-delà du Temps : La Signification Profonde des Calendriers Médiévaux

Un Outil de Compréhension du Monde

Les calendriers médiévaux dépassent largement leur fonction première d’outil de mesure du temps. Ils incarnent une véritable vision du monde et de la société médiévale, riche en symbolisme et en significations implicites :

  • Une vision cléricale et seigneuriale : Les scènes d’abondance et de travaux agricoles représentées dans ces calendriers ne sont pas neutres. Elles servent à justifier implicitement le système féodal en place, notamment les redevances dues à l’Église et aux seigneurs. En montrant une nature généreuse et des paysans au travail, ces images légitiment la structure sociale et économique de l’époque.

  • Un miroir idéalisé : Il est important de noter que la représentation des travaux agricoles est souvent adoucie, voire idéalisée. Les aspects les plus pénibles et difficiles du travail paysan sont généralement occultés, présentant une vision harmonieuse et ordonnée de la vie rurale. Cette idéalisation sert à la fois à rassurer l’élite sur l’ordre social et à présenter une image édifiante du travail.

  • Une symbolique religieuse : La prédominance de certaines activités agricoles, notamment celles liées à la production du pain (moisson) et du vin (vendanges), n’est pas fortuite. Ces éléments renvoient directement à l’eucharistie, le sacrement central de la foi chrétienne. Ainsi, le cycle agricole est mis en parallèle avec le cycle liturgique, renforçant l’imbrication du profane et du sacré dans la mentalité médiévale.

Le tournant de l'imprimerie

L’invention de l’imprimerie marque un nouveau tournant au XVe-XVIe siècles. Elle permet une diffusion plus large des calendriers, comme l’illustre le “Calendrier des Bergers” (1491). Ce phénomène conduit à une réappropriation du modèle élitiste par un public plus populaire. Les calendriers imprimés, tout en conservant certains éléments symboliques et artistiques des versions manuscrites, deviennent plus accessibles et plus pratiques pour un usage quotidien.

Le Calendrier des bergers de MARCHANT © Creative commons

L'Héritage des Calendriers Médiévaux

L’impact des calendriers médiévaux s’étend bien au-delà de leur époque d’origine, continuant à façonner notre culture et notre perception du temps de diverses manières :

  • Sur notre perception du temps : La structure fondamentale établie par les calendriers médiévaux persiste dans notre conception moderne du temps. La division de l’année en 12 mois, chacun associé à des activités ou des caractéristiques spécifiques, reste profondément ancrée dans notre culture. Cette organisation du temps continue d’influencer notre façon de planifier nos activités et de concevoir le rythme de l’année.

  • Sur l’art : Les représentations des mois dans les calendriers médiévaux ont eu une influence durable sur l’art occidental. Ces images ont inspiré de nombreux artistes à travers les siècles, jusqu’à nos jours. On peut voir leur influence dans divers domaines artistiques, de la peinture à l’illustration, en passant par la sculpture et même les arts décoratifs. Les thèmes et les motifs développés dans ces calendriers continuent d’être réinterprétés et adaptés par les artistes contemporains.

  • Sur notre imaginaire collectif : Les images issues des calendriers médiévaux ont largement contribué à forger notre vision – souvent idéalisée – de la vie médiévale. Ces représentations, bien que souvent romancées, ont profondément marqué notre perception de cette période historique. Elles alimentent encore aujourd’hui notre imaginaire collectif sur le Moyen Âge, influençant la littérature, le cinéma, et même notre compréhension populaire de l’histoire.

Les calendriers médiévaux, et particulièrement ceux des livres d’heures, sont bien plus que de simples marqueurs du temps. Ils sont des témoins précieux d’une époque, des œuvres d’art d’une beauté stupéfiante, et des invitations à la réflexion sur notre rapport au temps et à la société.
Alors, la prochaine fois que vous ouvrirez votre agenda électronique, pensez à ces artistes médiévaux qui, page après page, mois après mois, ont créé des chefs-d’œuvre qui continuent de nous fasciner et de nous interroger des siècles plus tard.
N’hésitez pas à explorer par vous-même ces trésors du passé. Qui sait quelles inspirations vous y trouverez pour votre propre perception du temps et de la vie ?

Pour en savoir plus, je vous recommande  la lecture de l’article de Georges Comet, qui m’a aidé à construire cet article.

N'hésitez pas à partager votre passion avec vos proches !

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