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Les Très Riches Heures du Duc de Berry sont l’un des plus beaux manuscrits enluminés français du XVe et l’un des plus beaux chefs-d’œuvre de l’École de Bourges.
Ce livre tient une grande place dans l’histoire de l’art : j’ose dire qu’il n’a pas de rival.
C’est ainsi que le duc d’Aumale, Henri d’Orléans (1822-1897), parlait de son manuscrit le plus précieux et il n’exagérait pas.
Commandé par le Duc Jean de Berry pour sa collection de livre d’heures, ce livre de prières a une histoire tellement romanesque qu’on en oublierait presque de prendre le temps de l’admirer.
C’est tout l’objectif de cet article : prendre le temps de découvrir ses feuillets, un à un et comprendre ce que les maîtres enlumineurs ont souhaité nous y conter. Alors, installez-vous confortablement et découvrons ensemble les merveilles du Duc Jean.
Cet article étant à la mesure du manuscrit, je le complèterai chaque semaine, comme un feuilleton qui, je l’espère, sera passionnant.
Sommaire
ToggleLa reliure
Le manuscrit ne fut relié que très tardivement.
En effet, ce n’est qu’au XVIIIe que les cahiers sont reliés par la famille génoise Spinola, ce qui explique la présence de leurs armoiries sur le plat inférieur de la reliure. Les armoiries visibles sont celles des propriétaires suivants, les Serra.
Le Calendrier
Janvier (Folio 1)
C’est ce folio qui a permis au Duc d’Aumale de reconnaître immédiatement le commanditaire du manuscrit par son portrait, mais surtout ses emblèmes.
Le folio dépeint une scène de réception pour la nouvelle année dans un des somptueux palais du Duc de Berry, où luxe et autorité royale s’exposent avec faste. Au cœur de cette enluminure apparaît le Duc lui-même, revêtu d’une opulente houppelande bleue et d’un bonnet de fourrure, emblème de sa stature et de sa richesse. Autour de lui, la salle de réception abonde en détail de la plus grande délicatesse, depuis les convives à peine visibles s’avançant vers l’âtre, jusqu’aux guerriers lointains sur la tapisserie du fond, qui illustre les récits épiques de la guerre de Troie. C’est dans ce décor que le ciel, peint en haut de la page, voit le char du Soleil faire son passage du Capricorne au Verseau, présageant le rebondissement des jours après la nuit la plus longue.
Les symboles héraldiques du Duc de Berry sont discrètement intégrés à la composition, tels que les fleurs de lys, ours et cygne disséminés à travers le manuscrit, dont l’identification a été confirmée par des spécialistes en reconnaissance des éléments mentionnés dans l’inventaire des biens du Duc après sa mort en 1416. L’opulence de la scène contraste élégamment avec le contexte historique tendu, un désir de paix étant tangible après l’armistice d’Arras conclu entre Armagnacs et Bourguignons.
Dans cette assemblée, des personnages clés s’activent : un huissier récite « Aproche, aproche », invitant un hôte à se rapprocher du Duc. Des servants nobles s’occupent des besoins de la cour, découpant méticuleusement la viande et veillant au vin. Le réalisme du portrait du Duc, comparable à son gisant dans la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, capture une authentique expressivité et marque l’histoire par la fidélité de sa représentation. La présence du cardinal Adhémar Aleman, légat du pape, dénote l’importance de la scène, établissant le folio comme un témoignage des premiers jours de l’année 1415, une période troublée par des conflits civils, mais ici suspendus dans une bulle de célébration et d’opulence.
Février (Folio 2)
L’œuvre admirable des frères Limbourg capture ici l’essence de l’hiver. Neige épaisse et ciel plombé encadrent des scènes de labeur résigné où seules perdurent des activités essentielles à la survie, tels la coupe et le transport du bois de chauffage. Une figure centrale, un bûcheron aux vêtements rudes apparaît figée en plein effort, sa posture traduisant à la fois la rigueur du froid et la nécessité impérieuse du travail. Cet homme, soufflant sur ses mains pour les réchauffer dans l’enclos d’une ferme modeste, est entouré de modestes bâtiments agricoles comprenant une bergerie, des ruches et un pigeonnier. Cette évocation du quotidien est d’une précision telle qu’elle nous fait pénétrer dans la vie des gens de la terre, qui, à défaut de la noblesse des grands de ce monde, possèdent la noblesse de la nécessité et de l’authenticité.
La lunette, partie supérieure arrondie de la miniature, est empreinte d’un symbolisme céleste fort : le char du Soleil, représentation allégorique du temps qui passe, glisse du signe du Verseau aux Poissons, reflétant ainsi le passage continu des jours et des saisons.
Dans cette scène, caractérisée par la retenue et une touchante simplicité, les paysans se réchauffent dans la chaleur fugace d’un foyer, leur seul répit dans cette saison exigeante. Leurs gestes, empreints de discrétion et de pudeur, contrastent avec la pose libre d’un jeune couple dissimulé derrière elle, dont le réalisme peut-être audacieux ou simplement facétieux, typique des Limbourg, laisse entrevoir l’absence de sous-vêtements, suggérant peut-être les continuations de la vie et l’amour même en ces temps glacés.
Cette mise en scène, où la frontalité du quatrième mur est oubliée, nous invite avec une étonnante modernité dans l’intimité d’une habitation paysanne. Là s’exprime sans filtre la vérité de l’existence, loin des fastes et des intrigues de la vie courtoise, dévoilant les Limbourg comme observateurs aigus et chroniqueurs de la diversité humaine.
Le folio de février, par sa représentation intime et précise de la vie campagnarde, offre un contraste saisissant avec les scènes de cour plus ostentatoires d’autres pages, rappelant ainsi la diversité sociale du monde médiéval.
Mars (Folio 3)
Sur ce folio, nous sommes accueillis par les premiers travaux de printemps, qui se déroule sous le regard protecteur du château de Lusignan. Ce mois marque un moment de transition, où la nature sort doucement de son sommeil hivernal pour accueillir la nouvelle vie.
Les paysans y sont illustrés en pleine activité : certains labourent les champs avec soin, préparant la terre pour les semailles à venir, tandis que d’autres sont occupés à la taille des vignes, une tâche essentielle pour garantir la qualité et l’abondance des futures récoltes. De petites scènes pastorales complètent ce tableau avec des moutons paissant tranquillement, sous la surveillance attentive des bergers.
Au-delà de ces scènes de vie rurale, la majesté du château de Lusignan domine le paysage, ajoutant une dimension narrative et mythique à l’ensemble. Ce château, associé à la légende de la fée Mélusine, symbolise à la fois la puissance féodale et le monde merveilleux des contes populaires. Selon la légende, Mélusine, mi-femme, mi-serpent, aurait construit le château pour son époux, Raymonin, sous la condition qu’il ne la voie jamais dans sa véritable forme. Cet élément fantastique enrichit le message de ce folio, faisant le lien entre le monde terrestre du travail des champs et un univers plus vaste de récits et de croyances qui inspirent et donnent sens à la vie quotidienne.
Ainsi, les frères Limbourg ne se contentent pas de nous offrir un aperçu des activités agricoles typiques du mois de mars ; ils tissent également une riche tapisserie narrative, où l’histoire, le mythe et la réalité quotidienne se rencontrent. Ce faisant, ils capturent l’essence d’une époque où l’imaginaire et le réel s’entremêlent de manière indissociable, nous rappelant que la vie médiévale était imprégnée d’un sens profond du mystique et du merveilleux.
Avril (Folio 4)
Le folio d’avril célèbre la nature en plein renouveau et les interactions humaines qu’elle engendre.
Au centre de cette scène pastorale, des figures sont engagées dans la tradition courtoise de l’échange des cadeaux de Pâques, un rappel du renouvellement spirituel dont le printemps est symboliquement porteur. Un jeune homme, sans doute issu de la noblesse au vu de ses habits raffinés, offre à une dame une branche fleurie ; cadeau typique du mois d’avril et signe d’intérêt amoureux en cette période.
La scène se déroule sur un fond de verdure luxuriante, avec en toile de fond le Château de Dourdan, une des résidences du Duc de Berry. Le château est représenté avec une précision architecturale remarquable, montrant le souci des frères de Limbourg de fidèlement représenter non seulement l’activité humaine, mais aussi le cadre dans lequel elle se déroule.
En dépit de la simplicité apparente de cette scène, le folio d’avril illustre adroitement les nuances sociales de l’époque médiévale, tout en capturant l’essence éphémère de la nouvelle saison. Le contraste entre la vie courtoise et la vie pastorale est subtilement souligné, formant une mosaïque complexe de l’existence humaine dans sa magnifique diversité.
Le calendrier jouxté met l’accent sur le calendrier politique et des aspects astronomiques. Je ne le détaillerai pas à chaque fois, mais il est intéressant de les comprendre.
L’ensemble des colonnes à droite est présent uniquement dans les Très Riches Heures. La colonne « Quantitas dierum » fournit le nombre d’heures et de minutes pour chaque jour. La dernière colonne, écrite à l’encre dorée, décrit le « nouveau nombre d’or ». C’est une représentation des tentatives faites par des astronomes, au début du 15e siècle, pour réformer le comput ecclésiastique traditionnel. La projection de ce nouveau système était alignée avec le rôle politique significatif que le duc voulait tenir.
Les deux colonnes de gauche forment un comput ecclésiastique qui avait pour but de déterminer la date de Pâques, la principale fête chrétienne, ainsi que les différents dimanches latéraux tout au long de l’année. Dans ces colonnes, le « nombre d’or » est indiqué en chiffres romains, variant de I à XIX, permettant de calculer la date de la nouvelle lune. Les dimanches de l’année sont calculés grâce à la lettre dominicale (de a à g), peinte en noir.
Concernant le calendrier civil romain, les Très Riches Heures le mentionnent distinctement, notant que les semaines n’existent pas dans ce calendrier. « KL », une abréviation décorée pour « calendes », signifie le premier jour de chaque mois. Les jours suivants sont numérotés en fonction du nombre de jours précédant les nones (5e ou 7e jour), les ides (13e ou 15e jour) et les calendes du mois prochain.
Mai (Folio 5)
Le mois de mai est période de célébration et de fêtes printanières, où la nature s’éveille. Le char du Soleil continue sa progression, passant du Taureau aux Gémeaux, image astronomique marquant la période.
La miniature scintille de la vie du premier jour de mai, où un cortège éclatant de noblesse se met en marche. Seigneurs et dames richement parés suivent une tradition festive, chevauchant ensemble vers la forêt. Au son des trompettes, ils célèbrent la saison, évoquant les préparatifs du mariage de Marie de Berry avec Jean de Bourbon, un événement de leur époque.
Les détails de la représentation sont fins et personnels : les bijoux distinctifs des protagonistes de la scène, l’« escharpe » de corail de la fiancée et le « poitrail » d’or à deux chaînes du cavalier, ainsi que les badges de l’Ordre de l’Écu d’or portés par les hérauts, révèlent l’identité des personnages comme Marie de Berry et Jean de Bourbon, dont l’union fut célébrée le 24 juin 1400.
Le « vert gai » des robes, coloris de printemps par excellence, orne les jeunes filles de la cour, illustrant le renouveau de la nature. Les couronnes de feuillage portées par tous rappellent cette tradition médiévale opulente où même le roi contribuait à l’atmosphère festive en offrant ces vêtements aux jeunes membres de sa cour.
En arrière-plan, les toits pointus du palais de l’île de la Cité se découpent à l’horizon, lieu de résidence royale, bien que le roi n’y réside plus au XVe siècle. Ce choix de paysage renforce l’idée d’un pouvoir qui, même éloigné, reste symboliquement au cœur de la vie du royaume. Ainsi, ce folio de mai dans les « Très Riches Heures » lie majestueusement la splendeur de la cour et la joie du renouveau saisonnier, tout en s’enracinant dans la réalité politique et sociale de l’époque.
Juin (Folio 6)
Au mois de juin, les Très Riches Heures du Duc de Berry nous transportent sur les rives de la Seine, dans un cadre pastoral vibrant de vie et de labeur. Observant le ciel, le char du Soleil migre des Gémeaux au Cancer, marquant l’entrée dans l’été.
Ce folio capte avec minutie une scène agricole typique de cette période : trois hommes fauchent les foins en parfaite harmonie. Leur travail est complémenté par celui de deux paysannes, qui, armées de fourches et de râteaux, rassemblent l’herbe coupée. L’organisation du champ, avec ses meulons de foin alignés selon la courbe du fleuve, offre non seulement une leçon de géométrie visuelle, mais souligne également la symbiose entre l’homme et la nature. L’arrière-plan révèle le Palais de la Cité, résidence royale à Paris, ancrant cette représentation champêtre dans le cœur politique de la France.
Le réalisme de cette scène est interrompu par un élément de narration possiblement lié à un événement notoire de l’époque, le mariage de Marie de Berry le 24 juin 1400. On observe des seigneurs gravir un escalier couvert, semblant se diriger vers le palais royal, évoquant la réunion des invités à cette occasion festive. Cette insertion narrative propose une riche couche de contexte historique, tout en incorporant subtilement les élites dans la vie quotidienne de l’époque, créant ainsi un pont entre deux mondes.
La vue du Palais, selon l’interprétation de l’artiste, aurait été peinte depuis la rive gauche de la Seine, possiblement depuis l’Hôtel de Nesles, la résidence parisienne du Duc de Berry. Ce choix de perspective met en avant non seulement le palais lui-même, avec ses éléments architecturaux comme la Salle sur l’eau et les tours emblématiques, mais aussi la manière dont les lieux influents sont intégrés dans le paysage quotidien des sujets du duc.
Tragiquement inachevée par les frères Limbourg, cette miniature fut plus tard complétée par Barthélemy d’Eyck en 1445, dont l’approche artistique se distingue notamment dans le traitement des ombres et des reflets sur l’eau, ajoutant une profondeur et un réalisme saisissant à la scène.
Ainsi, le folio de juin se distingue par son mariage réussi entre le travail agricole saisonnier et l’évocation de la vie sociale et politique contemporaine, le tout encadré dans un somptueux paysage fluvial qui fait écho à la grandeur et à la complexité de la vie au XVe siècle.
Juillet (Folio 7)
Le folio consacré au mois de juillet propose une représentation détaillée des travaux agraires caractéristiques de cette période de l’année, imbriqués dans le cadre somptueux du château de Poitiers, une possession du Duc.
Au plan astral, le folio met en évidence le voyage du char du soleil de Cancer à Lion, marquant le pic de l’été. Le zodiaque est indiqué à droite en haut dans la marge, accentuant encore l’harmonie entre l’homme et les cycles naturels.
La scène agricole est organisée autour de deux activités principales. L’on peut observer deux paysans moissonnant vigoureusement des champs d’or, leurs corps arqués dans l’effort physique, armés de faucilles affûtées. Leurs gestes trahissent une habitude des travaux des champs, exprimant un sens de l’économie et d’efficacité dans leur labeur.
Au premier plan, un autre duo de travailleurs, un homme et une femme, s’affairent à la tonte des moutons, activité cruciale en ce mois de juillet. Cela offre une vue fascinante du processus artisanal de la tonte, démontrant la précision et la délicatesse requises pour cette tâche.
Au-delà du ruisseau serpentant qui sépare les deux zones de travail se dresse majestueusement le château de Poitiers, monument historique dont la reconstruction et la restauration furent commandées par Jean de Berry aux confins des XIVe et XVe siècles. Il est présenté avec une attention remarquable aux détails architecturaux. Les toits pointus, les tourelles et la façade en pierre de l’édifice confèrent au château un aspect grandiose et imposant. Son emplacement en hauteur, surplombant les vastes champs et la rivière Clain, fait du château le point focal de la composition. Le château de Poitiers, avec sa structure triangulaire, est un exemplaire remarquable de l’architecture duce de cette époque, faisant montre des caractéristiques stylistiques du gothique flamboyant par ses toits à forte pente, ornés de gâbles et de pinacles, qui témoignent de la richesse et du raffinement du commanditaire.
Cette page, donc, ne se limite pas à représenter simplement les activités saisonnières, mais nous plonge également dans l’univers architectural et seigneurial de l’époque, soulignant l’engagement de Jean de Berry tant dans le renouvellement du patrimoine architectural français que dans la préservation des pratiques agricoles traditionnelles. À travers cette fresque vivante de juillet, les frères de Limbourg, et ensuite leur successeur pour l’achèvement, Barthélemy d’Eyck, parviennent à tisser un lien étroit entre les hommes, leur environnement et le ciel sous lequel ils évoluent, écho d’une harmonie universelle chère au Moyen Âge.
Août (Folio 8)
Le folio consacré au mois d’août dévoile une scène opulente d’activités nobles et paysannes se déroulant sous l’éclatante lumière estivale. La page enluminée représente le mois des récoltes, mais également des loisirs, dans un cadre idyllique et féodal.
Sur cette page, une imposante demeure seigneuriale, possiblement inspirée du Château d’Étampes, domine le paysage. Représentatif de la puissance de la maison de Berry, le château se détache majestueusement sur le ciel d’été avec ses tours saillantes et ses fortifications robustes, symbolisant à la fois la protection et le statut aristocratique.
Au premier plan, la vie pastorale se manifeste avec un brin de réalisme touchant. Un groupe de faucheurs récolte les céréales, élément essentiel de l’économie médiévale. Leurs silhouettes courbées rappellent le labeur acharné des paysans, tandis qu’un autre travailleur aiguise sa lame, crucial pour maintenir l’efficience de la moisson.
La scène basculant du travail à la détente nous fait également témoins du loisir nobiliaire. Des courtisans, vêtus de tenues raffinées, se prélassent et s’adonnent à la chasse au faucon, passe-temps favori de l’aristocratie du Moyen Âge. La jeune dame qui chevauche en amazone sur le cheval blanc du premier plan est vraisemblablement Marie de Berry. Elle est identifiable, car elle porte le collier prolongé de chaînes d’or que portait son fiancé sur les enluminures d’Avril et de Mai. Ainsi les frères de Limbourg montrent de façon très ingénieuse que Marie de Berry est désormais une femme mariée.
Cette tension entre labeur et loisir témoigne des classes et des rôles sociaux distincts de l’époque.
Au-delà des activités, le folio d’août est marqué par une riche palette chromatique : les dorés des champs mûrs qui vont être moissonnés, le bleu profond du ciel et les verdoyantes prairies baignent la scène dans une lumière chaude et dorée, caractéristique de l’été.
Quant aux signes astrologiques, nous voyons dans ce mois-ci la transition du soleil du signe du Lion à celui de la Vierge, indiquée dans la représentation du zodiaque typique du manuscrit, prenant place dans les marges supérieures de la page.
Les frères de Limbourg ont porté une attention particulière à la diversité des activités et à la richesse de la biodiversité, peignant un assortiment de détails floraux et fauniques.
Septembre (Folio 9)
Pour septembre, le folio présente les vendanges — une des principales activités agricoles de l’automne médiéval. L’enluminure met en scène, avec une grande minutie, la vie rurale et les activités saisonnières dans un paysage viticole, reflétant la richesse des terres possédées par le Duc de Berry.
Le tableau est dominé par l’imposant Château de Saumur, qui, avec ses tours crénelées et blanches, se dresse fièrement au-dessus de la Loire. Ce château est l’exemple même de la transition entre le style gothique et le début de la Renaissance, reflétant l’évolution de l’architecture militaire vers un aspect plus résidentiel et représentatif de la puissance de la noblesse.
Dans les vignobles qui bordent les remparts du château, on observe avec précision des vendangeurs s’activant sous le soleil de la fin de l’été. Hommes et femmes, équipés de paniers, coupent et collectent les grappes de raisin mûres. Cette récolte minutieuse est illustrée par des gestes qui semblent chorégraphiés, transmettant le savoir-faire et la coopération nécessaires à cette tâche.
Certains travailleurs sont perchés sur des échelles, atteignant les fruits les plus hauts, tandis que d’autres foulent le raisin ou remplissent des tonneaux, suggérant ainsi les étapes suivantes de la production du vin, une boisson essentielle à la société médiévale tant pour la consommation courante que pour la messe ecclésiastique.
Dans le ciel, la ronde du zodiaque continue avec le soleil s’avançant dans le signe de la Balance, une représentation symbolique de l’équilibrage des jours et des nuits qui deviennent égaux avec l’équinoxe d’automne.
L’utilisation des couleurs dans cette enluminure est particulièrement frappante : la richesse des tons verts des vignes contraste avec le bleu intense de la rivière et du ciel. Les touches de rouge et de blanc sur les vêtements des personnages attirent l’attention sur l’activité humaine tout en renforçant la dimension esthétique de l’œuvre.
Les frères de Limbourg, avec leur souci du détail et leur talent caractéristique, offrent ici une fenêtre sur la vie rurale de leur temps, mêlant travail acharné et richesses architecturales, pour refléter un mois où la nature et les hommes travaillent de concert pour garantir la prospérité et le bien-être de la communauté.
Octobre (Folio 10)
Le folio d’octobre nous transporte au cœur de l’automne, capturant la saison des semailles et la préparation des terres pour l’hiver à venir. Cette page dépeint avec soin le rythme de vie paysan, toujours sous l’influence saisonnière.
Au centre de la scène, l’attention est captée par des paysans labourant activement les terres. Avec leurs attelages de bœufs, dont la force tranquille se ressent à travers le parchemin, ils ouvrent les sillons qui accueilleront les semences. Un personnage sème à la volée, dispersant uniformément les grains qui promettent la récolte de l’année suivante. Ce geste, d’une grande importance agronomique, est exécuté avec une précision qui témoigne de la connaissance ancestrale du travail des champs.
À l’arrière-plan, on aperçoit le château du Louvre. C’est le frère du duc de Berry, Charles V, qui a transformé la forteresse en résidence royale, perçant fenêtres et cheminées pour plus de confort. C’est dans le cadre de cet aménagement que la première bibliothèque royale y est installée. La présence architecturale du château, à la fois massive et élégante avec ses tours et sa muraille, ancre le paysage dans l’univers féodal et rappelle le lien entre la terre et son seigneur. La Seine, sinueuse, reflète la lumière automnale et sépare harmonieusement l’espace agricole de l’espace urbain.
Ici, on peut deviner que c’est Barthélemy d’Eyck qui est derrière ce feuillet par l’utilisation des ombres portées (celle du cheval) ou des reflets dans l’eau. L’atmosphère automnale est accentuée par les nuances de couleurs employées. Des tons ocre et bruns des champs labourés aux verts résiduels des arbres encore feuillus, la palette de couleurs évoque la transition vers la saison froide. On peut aussi remarquer des touches de couleurs plus vives, comme le rouge vif des vêtements de certains paysans, qui se détachent vivement contre le fond terne de la terre retournée.
Dans les cieux, l’illustration poursuit le récit astronomique, avec le signe du Scorpion mettant en lumière l’approfondissement de l’automne et la diminution des jours ensoleillés.
Novembre (Folio 11)
Le folio du mois de novembre dépeint une scène rurale de la “paisson“, une activité agricole d’automne vitale de l’époque médiévale. Cette pratique consiste à laisser les porcs paître en forêt afin qu’ils se nourrissent de glands, une méthode d’engraissement économique avant l’hiver. Cette scène montre un porcher, accompagné de son chien fidèle, qui utilise son bâton pour faire tomber les glands des chênes, les rendant accessibles aux porcs.
La “paisson” n’était pas un droit libre; il fallait une autorisation spéciale pour pratiquer la glandée, généralement octroyée en octobre et novembre. Cette activité est soigneusement illustrée ici, nous renseignant sur les droits d’usage et la gestion des terres communales durant le Moyen Âge.
L’arrière-plan de la miniature présente un paysage montagnard avec un imposant château au pied d’une falaise, faisant allusion à la Savoie.
Réalisée entre 1485 et 1486, la miniature est attribuée à Jean Colombe, qui a travaillait pour Charles Ier de Savoie. Il convient de noter qu’un dessin similaire apparaît dans le calendrier débutant les Heures de Dunois, achevé en 1436 par le maître de Dunois. Cela suggère que Colombe a pu s’appuyer sur des esquisses préparatoires réalisées bien plus tôt par les frères de Limbourg pour achever cette composition cinquante ans plus tard.
Le folio de novembre est donc un fascinant mélange de représentations économiques, sociales et environnementales de l’époque médiévale, ainsi qu’un témoignage des pratiques agricoles et des droits féodaux. Il relie également l’histoire de la production de ce manuscrit, des frères de Limbourg à Jean Colombe.
Décembre (Folio 12)
Le 12e folio nous présente pour le mois de décembre une scène dynamique de vénerie, capturant avec vivacité un moment de vie médiévale entremêlé entre nature et culture aristocratique.
Dans le ciel, le char du Soleil traverse l’arc du Sagittaire au Capricorne, marquant le temps de l’année où l’hiver commence à montrer ses premiers signes. Cette progression est symbolique dans le calendrier médiéval, soulignant les changements saisonniers et leur importance dans la régulation des activités humaines.
Au cœur de l’action, trois valets d’une même chasse sont parvenus au terme de leur quête, capturant un sanglier, la curée. La poursuite semble avoir été intense, comme le suggère leur apparence éreintée. L’image d’un des valets sonnant l’hallali — l’acte de marquer la fin de la chasse — accentue le sentiment de conclusion et de victoire sur la nature sauvage. Les chiens, difficilement retenus par les autres piquiers, s’abattent sur leur proie dans un moment de capture brut, mais authentique d’une pratique sociale de l’époque.
Restituant majesté et histoire, le château de Vincennes se dresse en arrière-plan. Initialement un simple pavillon de chasse créé par Louis VII, il a été transformé en résidence royale par Philippe Auguste. Sous le règne de Charles V, né dans ces murs tout comme le Duc de Berry, le château fut considérablement agrandi, témoignant de son importance militaire, résidentielle, et gouvernementale. Les tours carrées et le donjon, visibles derrière la forêt aux feuilles jaunissantes, rappellent l’architecture médiévale robuste et élégante, ancrant la scène dans un lieu de puissance et d’histoire.
La réflexion sur l’art de la chasse est aussi appuyée par une référence à un carnet de Giovannino de’ Grassi, où un dessin similaire de chiens mordant leur proie illustre peut-être une source d’inspiration pour cette scène, renvoyant à un modèle pictural lombard de la fin du XIVe siècle.
Concernant l’enluminure elle-même, le détail des ombres portées des pierres et des branches, sobrement tracées sur le sol, suggère la main de Barthélemy d’Eyck. Peut-être est-il intervenu sur une esquisse préalable des frères Limbourg, sa technique ajoutant une profondeur et un réalisme marqués à la composition.
L'Homme anatomique (Folio 14)
À la clôture du calendrier des se découvre une image aussi fascinante que singulière dans la littérature des livres d’heures de l’époque : l’homme zodiacal. Ce diagramme est singulier, il associe à chaque partie du corps humain un signe astrologique spécifique, traduisant la croyance ancienne et médiévale que les mouvements des astres – le macrocosme – influencent directement le microcosme symbolisé par l’homme. Cet homme anatomique est enveloppé par des nuages, rehaussant la dimension cosmique évoquée par l’image.
Au sein d’une mandorle, un ornement en forme d’amande, qui est graduellement mis en valeur, les signes du zodiaque se dévoilent sur un fond azuré, alignés avec les mois de l’année correspondants. Cette association pourrait avoir joué un rôle pratique, voire médical, particulièrement pour le Duc de Berry, comme le suggère la présence des deux figures peintes dos à dos qui ont nourri nombre d’interprétations. Ces figures pourraient symboliser diverses dualités comme les sexes masculin et féminin, le jour et la nuit, ou encore une allusion au dieu romain Janus. La présence de cette dualité demeure un point d’interrogation intrigant.
Dans les coins de la miniature, on retrouve les blasons du duc de Berry, ornés de trois fleurs de lys d’or sur champ d’azur avec une bordure engrêlée de gueules, et le monogramme “VE” ou “UE“, peut-être faisant référence à la devise du duc “En vous”. Ces éléments héraldiques et ce code personnel emplissent l’image de significations qui renvoient à l’identité et à la devise du mécène.
L’homme zodiacal des “Très Riches Heures” tisse aussi un lien direct avec la théorie hippocratique des humeurs, une croyance qui positionne l’air, l’eau, le feu et la terre comme des éléments constitutifs aussi bien de l’univers que de l’homme, dans un cycle perpétuel de changement. Chaque signe zodiacal est par conséquent associé à des tempéraments spécifiques – colérique, mélancolique, sanguin, flegmatique – qui correspondent aux qualités des éléments et reflètent les points cardinaux et les genres. L’image de l’homme zodiacal est donc une illustration rare et complexe qui offre un aperçu intemporel de l’engagement médiéval envers l’entrelacement de l’astrologie, de l’anatomie, de la philosophie et de la personnalisation artistique.
Les 4 péricopes des Évangiles
Les périscopes, qui sont des passages sélectionnés des évangiles, destinés à être lus lors des offices liturgiques tout au long de l’année. L’inclusion de ces périscopes dans le livre d’heures souligne l‘importance des textes évangéliques dans la pratique quotidienne de la dévotion chrétienne, offrant aux fidèles une façon de méditer sur les enseignements de Christ au travers de l’année liturgique. Traditionnellement, ces sections sont souvent richement enluminées, reflétant leur importance et aidant à engager les dévots dans une réflexion profonde.
Évangile selon St Jean (Folio 17)
L’extrait de l’Évangile selon Saint Jean qui est inclus dans Les Très Riches Heures du Duc de Berry est un élément introductif essentiel de ce livre d’heures. Cet extrait (1, 1-14) débute avec le passage célèbre : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. » Ce texte fait également référence à Jean-Baptiste, le témoin de Jésus-Christ, Fils de Dieu, par lequel l’humanité est rachetée. Ce péricope est traditionnellement associé à la fête de Noël.
La grande miniature qui accompagne ce texte présente Saint Jean l’Évangéliste en exil sur l’île de Patmos, transcrivant les visions de l’Apocalypse. À côté de lui, son symbole, l’aigle, tient un encrier et un plumier dans son bec.
La partie supérieure de l’image nous plonge dans la vision de l’Apocalypse telle que vue par l’évangéliste : le Christ révélé, accompagné par l’Agneau ouvrant le livre aux sept sceaux, est encerclé par une foule d’entités saintes. Sur l’horizon, on contemple la Jérusalem nouvelle, la ville sainte, comme un joyau figural au sein d’une composition méticuleusement dorée et teintée de bleu, mettant en lumière la destination céleste de l’humanité selon la foi chrétienne.
Évangile selon St Lucv(Folio 18 recto)
Ici, l’un des frères Limbourg a minutieusement peint l’évangéliste Luc, plongé dans l’écriture. Assis à son bureau, Luc semble s’inspirer directement de la colombe du Saint-Esprit, un symbole puissant de la foi chrétienne. La composition de la scène évoque l’ambiance studieuse des scriptoria du Moyen Âge, avec un pupitre solidement arrimé à une chaise à haut dossier et une tour de livres suggérant la richesse des connaissances accumulées à cette époque.
Curieusement, l’image est surmontée d’un ange, une erreur iconographique puisque cet élément est traditionnellement associé à saint Matthieu.
Évangile selon St Matthieu (Folio 18 verso)
Cette petite miniature, réalisée par l’un des frères de Limbourg durant la période de 1411 à 1416, met en scène l’évangéliste Matthieu. On le voit en plein acte d’écriture, plongeant sa plume dans un encrier. Un détail notable se situe au-dessus d’une pile de livres où s’érige une figure de Moïse tenant les Tables de la Loi, créant un pont visuel et symbolique entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Ici, Moïse incarne l’Ancien Testament, tandis que Matthieu et ses compagnons évangélistes ouvrent la voie vers le Nouveau.
Par une erreur inhabituelle, le bœuf, qui est d’ordinaire lié à l’évangéliste Luc, apparaît aux côtés de Matthieu.
Evangile selon St Marc (Folio 19 verso)
L’œuvre poignante du martyre de saint Marc , toujours réalisée par les frères Limbourg, conclut les Péripopes des Évangiles. De manière unique, saint Marc est dépeint non pas en écrivain, mais en martyr : il est traîné dans les rues d’Alexandrie, entravé par une corde. L’artiste a minutieusement porté attention aux détails textiles, capturant l’exotisme avec des représentations de chapeaux et turbans portés par les figures païennes.
C’est la dernière grande miniature des péricopes.
L'oraison à la Vierge
L’oraison à la Vierge occupe une place centrale dans les Très Riches Heures du Duc de Berry, reflétant l’importance de la dévotion mariale dans la spiritualité médiévale. Ces folios sont particulièrement beaux, marqués par une finesse exceptionnelle dans la représentation de la Vierge et de l’Enfant, et par des détails symboliques qui enrichissent leur signification.
Le folio illustrant la Vision de l’Ara Coeli se dessine en trois enluminures saisissantes. L’histoire, telle que racontée dans ce folio, est basée sur la Légende dorée de Jacques de Voragine, du XIIIe siècle, faisant référence à une vision prophétique attribuée à l’empereur Auguste.
Auguste, empereur en quête de divinité, se voit révéler sa position mortelle par la prophétesse, la sibylle de Tibur. Cette dernière lui annonce alors la naissance du Christ, un être bien plus puissant. En résulte une scène frappante, où l’empereur, tombé à genoux, vénère la représentation de la Vierge et de l’Enfant, qui semble flotter dans le ciel à l’intérieur d’un cercle doré.
La Vierge à l’Enfant se démarque dans un tondo, une influence directe de l‘Apocalypse, chapitre douze, verset un : “Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête”. Cette vision de l’Ara Coeli (L’Autel du Ciel) met donc en lumière, de manière éloquente, le contraste marquant entre l’humilité de la condition humaine et la grandeur divine.
Les Heures de la Vierge
Le Paradis Terrestre (Folio 25 verso)
Le Folio 25 des Très Riches Heures du Duc de Berry dévoile une harmonie céleste, où le jardin d’Éden semble flotter sur des nuages, incarnant une vision paradisiaque. Autour de la Fontaine de Vie, Adam et Ève sont représentés quatre fois, un choix de composition permettant d’illustrer les différentes étapes du récit biblique de la Chute. Chaque scène capture l’histoire humaine marquante et tragique – cueillant le fruit défendu, recevant la réprimande divine, et finalement, chassés du paradis.
Le choix des couleurs de ce paradis parvient à créer un monde qui est à la fois fantasmagorique et onirique. Les frères de Limbourg utilisent une riche palette de pigments précieux incluant entre autres le bleu de lapis-lazuli, le rouge vermillon, le rose passion de laque conçue à partir du bois de Brésil, le vert de cuivre, l’indigo, et le giallorino. Chaque couleur est délicieusement riche, donnant vie à chaque détail de ce folio. Outrepassant les conventions de leurs contemporains, ils utilisent moins de minium ou d’or, donnant à leur œuvre une vivacité et une dimension unique, toujours captivante même plusieurs siècles plus tard.
L' Annonciation (Folio 26 recto)
Face à cette fresque du Jardin d’Eden, l’archange Gabriel annonce à Marie sa miraculeuse grossesse. Cette Annonciation, dans le contexte de la théologie chrétienne, symbolise le rachat du péché originel commis par Ève. La juxtaposition de ces deux images, du paradis perdu à la promesse de la rédemption, crée un discours théologique fort et vibrant.
Sur les bordures du manuscrit, les figures d’ours se juxtaposent harmonieusement aux cygnes, encadrant les blasons semés de fleurs de lys appartenant au duc de Berry. Il est noté que le cygne, souvent représenté avec une singularité distincte sous forme d’une marque rouge sang sur sa poitrine, évoquerait l’image d’une noble dame qui aurait capté l’affection du duc durant sa captivité en terres anglaises. Quant à l’image de l’ours, elle semble faire référence à Saint Ursin, saint patron du Berry, tissant ainsi un lien symbolique profond avec la région gouvernée par le duc.
Matines - Le roi David (Folio 26 verso)
Ici le folio capte l’image traditionnellement révérée du roi David, le représentant en jouant de la harpe, en hommage à sa légendaire attribution de la composition des psaumes. La scène illustre avec fidélité les versets du psaume 95, invoqués dans les Heures de la Vierge, où David prédit la venue du Christ. Dans le ciel, la figure du Christ apparaît, observée par les fidèles à genoux, exprimant leur louange divine : au son des musiques acclamons-le, tiré du verset 2, est magnifiquement rendu par la présence de deux musiciens, l’un à la vielle et l’autre au luth, établissant un parallèle entre le royaume céleste et l’acte de louange à travers la musique.
Une note mélancolique est apportée par la présence d’un iris inachevé et d’un oiseau dans la marge supérieure du folio, laissant transparaître les circonstances tragiques de la fin soudaine des frères Limbourg, emportés probablement par une épidémie de peste en 1416, laissant ainsi leur œuvre inachevée. Cet élément incomplet, accompagné de la bordure partielle de feuilles d’acanthe, confère au folio un témoignage poignant d’une création interrompue, empreinte de la disparition prématurée de ses célèbres artisans.
Matines - Psaume 8 (Folio 27 verso) et Psaume 19 (Folio 28 recto)
Deux petites miniatures illustrent les psaume 8 et 19.
Le psaume 8 présente David inspiré, contemplant le Christ qui trône au-dessus de toutes les créations dans les nuages.
Le psaume 19 illustre la diffusion de l’Évangile par les apôtres à l’ensemble des nations, symbolisée par la diversité des langues offertes lors de la Pentecôte. La présence des Nubiens dans l’illustration de ce dernier psaume accentue l’aspect universel du message chrétien.
C’est une nouvelle fois un beau témoignage des frères Limbourg du mélange de dévotion religieuse et d’observation attentive du monde qui caractérise la peinture médiévale.
Matines - Psaume 24 (Folio 29 verso)
Dans le psaume 24, c’est la cérémonie d’entrée sacrée dans le sanctuaire qui est représentée dans cette petite miniature. Elle met en scène l’Arche de l’Alliance, abritant les Tables de la Loi, symbole de l’alliance entre Dieu et son peuple élu. La procession de l’Arche à travers le Temple, dessinée comme un précieux reliquaire gothique, invite à la révérence, tandis que l’architecture de l’église, dépeinte avec une porte majestueusement élevée, fait écho au verset 7 du psaume : Portes éternelles, levez vos frontons, ouvrez-vous, pour que le roi de gloire puisse entrer. Cette œuvre reflète la profondeur de la spiritualité et de l’art religieux de l’époque médiévale.
Matines - Psaume 45 (Folio 31 recto)
Toujours dans les Heures de la Vierge, le folio 31 présente le psaume 45, un épitaphe royal. Le psaume 45 est particulièrement remarquable, interprété comme une allégorie du mariage mystique entre le Christ et l’Église, comme le suggèrent les auréoles qui entourent les personnages dans la miniature, soulignant leur caractère sacré et allégorique.
Matines - Psaume 46 (Folio 32 recto)
Ici le psaume 46 est illustré en dépeignant l’histoire de la rébellion de Coré contre Moïse, telle que racontée dans le Livre des Nombres. Dans cet épisode biblique, Moïse en appelle au jugement divin et les insurgés sont avalés par la terre, tandis que les descendants de Coré sont étonnamment épargnés.
Ce psaume est interprété dans la miniature comme un hymne de gratitude, célébrant la présence et le soutien continus de Dieu auprès de son peuple.
Matines - Psaume 87 (Folio 32 verso)
Le psaume 87 est aussi connu sous le nom de “Sion, mère des peuples“. Cette pièce des frères Limbourg est caractérisée par des initiales et des bordures ornées de feuilles d’acanthe non terminées, travail attribué à un collaborateur du célèbre Maître du Bréviaire de Jean sans Peur avant 1416. Plus tard, vers 1485, Jean Colombe a ajouté les finitions avec des lettres initiales S. La miniature en question met en scène le roi David accordant sa bénédiction à une figure allégorique de l’Église, identifiable grâce à l’étendard de la Résurrection et au calice qu’elle détient. La miniature évoque l’image de la Nouvelle Jérusalem et célèbre la gloire de l’Église à la fois militante et triomphante.
Matines - Psaume 96 (Folio 34 recto)
La miniature du psaume 96, créée par les frères Limbourg et complétée par Jean Colombe vers 1485, présente le thème de la royauté et du jugement divin.
Le psaume est visuellement interprété à travers la scène du Jugement dernier, où la justice divine est rendue par le Christ en tant que juge, discernant les justes des impies. Selon cette illustration, les élus sont positionnés à la droite du Christ, tandis que les damnés sont précipités dans les abîmes infernaux. La Vierge et Saint Jean Baptiste, représentés dans l’enluminure, plaident en faveur de l’humanité. Ce travail remarquable est également connu pour ses tituli manquants, ces commentaires explicatifs qui auraient normalement accompagné les images, laissant place à des initiales et des bordures de feuilles d’acanthe partiellement achevées, débutées par un assistant du Maître du Bréviaire de Jean sans Peur avant 1416.
Matines - Psaume 97 (Folio 34 verso)
La miniature représente une vision du Christ victorieux planant au-dessus des morts ressuscités, capturant l’essence des versets 5 et 6 du psaume qui proclament la grandeur de Dieu : La terre voit et tremble. Les montagnes fondent comme cire devant le Seigneur, devant le Seigneur de toute la terre. Les cieux proclament sa justice, et tous les peuples voient sa gloire.
La scène illustre les morts qui se réveillent au son des trompettes célestes, tandis que le Christ, orné des marques de sa Passion, se tient prêt à exercer le jugement. La pièce se distingue par l’absence du titulus, le titre explicatif habituel, qui aurait été inscrit en lettres bleues et dorées.
Matines - Psaume 98 (Folio 35 recto)
Dans l’enluminure dédiée au psaume 98, les frères Limbourg présentent le roi David rêver du Temple, la « maison d’Israël », qu’il désire ardemment construire. Cependant, Dieu, observant la scène, ne lui en donnera pas la permission. La représentation montre les mains de David, enveloppées dans les plis de son manteau, liées par la volonté divine. L’image est ancrée dans le contexte de construction médiévale, avec une scène de chantier du XVe siècle où des charpentiers s’affairent sur un échafaudage, évoquant les efforts de construction des niveaux supérieurs du Temple.
Matines - Te Deum (Folio 37 verso)
La miniature immortalise le baptême de saint Augustin, évêque d’Hippone. Saint Ambroise, évêque de Milan, est représenté en train de baptiser Augustin dans un baptistère octogonal, rappelant ceux de l’Antiquité tardive. Les deux figures ecclésiastiques, coiffées de mitres épiscopales, évoquent la dignité de leur charge.
La tradition chrétienne attribue à ces deux Pères de l’Église la paternité du Te Deum, un hymne liturgique dont le texte suit la miniature. Selon la légende, cet hymne aurait été composé spontanément lors même du baptême de Saint Augustin.
Laudes- La Visitation (Folio 38 verso)
Cette grande enluminure illustre la Visitation. Le psaume 93 montre la Vierge Marie visitant sa parente Élisabeth. Devant un portail, Marie tient un livre, mis en exergue par les frères Limbourg, signifiant qu’Élisabeth reconnaît en elle la mère du Messie, et se prosterne, énonçant la salutation de l’ange. Élisabeth elle-même, enceinte de Jean-Baptiste, se joint à cet instant de révérence malgré son âge avancé. Le sujet central est agrémenté de drôleries qui oscillent entre l’amusement et le grotesque.
Autre élément illustrant le psaume 93 sur le folio 39 recto : une image du Christ en Majesté, écho visuel au premier verset qui proclame : « Le Seigneur règne, il est revêtu de majesté ».
Laudes- Psaume 100 & 63 (Folio 39 verso)
Cette miniature dépeint psaume 100 où le roi David est en prière devant un autel qui soutient les Tables de la Loi, évoquant son appel à la louange. Au septième verset, l’imagination de David s’envole vers une vision du Christ ressuscité, dont le visage apparaît au sommet de la scène, soulignant la présence divine.
Le psaume 63, également attribué à David, est inspiré de ses moments de recueillement dans le désert de Juda. La représentation artistique de ce psaume capte un moment où, allongé sur le sol, David aperçoit le Christ émergeant de son tombeau, un ange ayant soulevé la pierre sépulcrale, se tournant vers lui pour le bénir, témoignant du désir intense de David pour Dieu même dans les moments d’adversité et d’isolement.
Laudes- Cantiques des 3 jeunes gens (Folio 40 verso)
C’est le récit du Cantique des trois jeunes gens qui est présenté dans cette petite enluminure. L’histoire, issue de l’Ancien Testament, raconte le refus de trois jeunes Hébreux d’adorer une statue dorée de Nabuchodonosor, pour lequel ils sont jetés dans une fournaise ardente. Étonnamment, non seulement ils survivent sans dommage, mais ils sont également rejoints et protégés par un ange à l’intérieur de la fournaise, dont la fumée se répand sur le texte sous forme de volutes de fumées. Ce miracle emblématique persuade le roi de Babylone de reconnaître et de révérer la puissance du Dieu d’Israël, un tournant majeur qui illustre la foi inébranlable et le pouvoir divin.
Laudes- Psaume 148 Louange cosmique (Folio 41 verso)
Cette petite miniature des frères Limbourg, créée pour le psaume 148, invite à une contemplation de la grandeur divine. Le Christ, omnipotent et entouré d’une myriade de chérubins et de séraphins, y est représenté dans un geste de bénédiction, symbolisant sa souveraineté sur l’univers. Cette scène est encadrée par un paysage qui rassemble les éléments de la Création : des astres scintillants, l’eau et la terre nourricières, les arbres qui s’élancent vers le ciel et le vent qui, capturé dans les voiles des navires, témoigne de la force invisible. Cette enluminure est une illustration visuelle de l’invitation du psalmiste à louer Dieu pour l’ensemble de ses œuvres, reflétant la louange cosmique dont parle le texte biblique.
Laudes- L'annonce à Zacharie - Benedictus (Folio 43 verso)
Dans cette petite miniature, c’est la scène de l’annonce faite à Zacharie qui est capturée. La représentation montre Zacharie, l’époux d’Élisabeth, dans son rôle de prêtre officiant la messe. Un ange lui révèle que sa femme, malgré son grand âge, donnera naissance à un enfant. Le choc et l’incrédulité de Zacharie se manifestent par sa posture, dos à l’ange, un geste qui entraînera sa perte temporaire de parole. Cette séquence mène au Benedictus, une prière d’action de grâce attribuée à Zacharie, qui est enregistrée dans l’Évangile de Luc, où il exprime sa gratitude pour la naissance prodigieuse de son fils.
Prime- Heures de la Vierge - La Nativité - Psaume 1 - Les 2 voies (Folio 44 verso)
Dans cette délicate miniature, la scène de la Nativité est représentée avec une grande richesse symbolique. Au centre, Marie et Joseph sont agenouillés devant l’Enfant Jésus, qui est porté et entouré par quatre anges rayonnants. Cette composition met l’accent sur le caractère miraculeux de la naissance du Christ, souligné par la présence de ces êtres célestes et par l’intense lumière qui émane de l’Enfant.
La colombe du Saint-Esprit est quant à elle peinte dans les rayons de lumière qui jaillissent de la bouche du Père divin, établissant ainsi un lien visuel entre les trois personnes de la Sainte Trinité. Cette représentation iconographique s’inscrit dans la tradition des visions mystiques de Brigitte de Suède, sainte suédoise du XIVe siècle, dont les écrits décrivent des scènes similaires de la Nativité.
Prime- Heures de la Vierge - Psaume 2 - Le drame messianique (Folio 45 verso)
Dans cette miniature, l”image représente le roi David après avoir défait ses ennemis mortels. David est entouré d’une nuée divine, soulignant l’intervention miraculeuse de Dieu dans sa victoire. La présence d’un vêtement richement orné de fleurs de lys crée un parallèle visuel entre la royauté de David et la royauté française, établissant ainsi un lien symbolique entre ces deux traditions monarchiques.
Cette composition met l’accent sur le thème du roi élu par Dieu et triomphant de ses adversaires grâce à la grâce divine. Le roi David, figure emblématique de l’Ancien Testament, devient ici le reflet de la légitimité royale française, dans une interprétation allégorique caractéristique de l’époque médiévale. Cette miniature des frères Limbourg témoigne de la portée symbolique et spirituelle attribuée à l’image sacrée dans les manuscrits de cette période.
Prime- Heures de la Vierge - Psaume 5 - Prière du Matin (Folio 46 verso)
Dans cette miniature, le texte fait référence au Psaume 5, intitulé “Prière du matin”. On y voit le roi David implorant Dieu de le protéger des manœuvres de ses conspirateurs qui cherchent à le nuire. Le décor de cette scène est volontairement réduit au minimum, avec un simple sol herbeux et un arrière-plan abstrait. Ce style épuré rappelle celui de certaines miniatures des Belles Heures, autre œuvre des frères Limbourg réalisée pour le duc de Berry.
Tierce - Heures de la Vierge - L'annonce aux bergers (Folio 48 recto)
Cette grande peinture des frères Limbourg, réalisée entre 1411 et 1416, représente un épisode clé de la Nativité chrétienne : l’Annonciation de la naissance de l’Enfant Jésus aux bergers. Un chœur d’anges proclame cet événement miraculeux aux bergers qui gardent leur troupeau près de Bethléem.
À l’arrière-plan, le paysage se détache des références topographiques trop locales pour laisser place à une composition plus épurée. Seuls quelques monuments moins emblématiques de la région de Poitiers, dont Jean de Berry était le comte, sont encore visibles. Cette approche plus universelle de la scène sacrée semble répondre à la volonté du duc de Berry de transcender les particularismes régionaux pour mieux souligner la portée spirituelle et œcuménique de la Nativité du Christ.
La composition équilibrée, mettant l’accent sur la dimension visionnaire et céleste de l’apparition angélique, témoigne de la maîtrise technique et de l’habileté des frères Limbourg dans la représentation des thèmes bibliques. Cette grande peinture illustre leur capacité à conjuguer habilement l’ancrage local et la valeur symbolique universelle dans leurs œuvres réalisées pour le mécénat du duc de Berry.
A suivre, prochainement, les autres parties des Très Riches Heures du Duc de Berry
Les Psaumes pénitentiaux
La Grande Litanie
Les Heures de la croix
Les Heures du Saint-Esprit
L'Office des morts
L'Office de la semaine
Les Heures de la Passion
Les Heures de l'année liturgique
Vous pouvez feuilleter les Très Riches Heures du Duc de Berry gratuitement grâce à la numérisation mise à la disposition par le château de Chantilly.