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L’héritage inestimable de l’École d’Enlumineurs de Bourges

  • Temps de lecture :15 min de lecture

Il est fort probable que vous ne connaissiez pas l’Ecole de Bourges puisqu’elle est aujourd’hui effacée de nos mémoires. Mais il y a fort à parier que vous connaissiez les chefs d’œuvres qui en sont sortis comme les Très Riches Heures du Duc de Berry. Au XVe la France est à l’apogée de l’enluminure médiévale et c’est à Bourges que tout se joue pendant 140 ans.

Je vous propose de comprendre pourquoi la capitale berruyère fut un tel écrin pour les enlumineurs de cette époque.

L’Ecole de Bourges, appelée parfois l’Ecole du Centre désigne l’activité constante d’ateliers d’enlumineurs entre 1380 et 1520 à Bourges.

Une école d’enlumineurs n’a rien à voir avec nos centres de formations contemporains à proprement parler mais désigne plutôt le regroupement d’ateliers et le style artistique qui découle de cette émulation d’artistes de talents. 

Toutefois, un atelier d’enlumineurs a vocation à former les artistes. En effet, sous la direction du maître enlumineur de renom, les artistes et apprentis se formaient et se perfectionnaient aux techniques de l’enluminure, de la miniature, des décors. Ils étaient également initiés et engagés à la préparation des pigments, à la dorure et à la calligraphie.

Pourquoi installer une école d'enlumineurs à Bourges ?

S’il y eut sans doute des enlumineurs qui travaillèrent pour le compte de grandes abbayes berrichonnes comme le témoigne la grande Bible des bénédictins de Saint-Sulpice, ils n’ont guère marqué l’histoire par l’originalité de leur production.

Extrait de la Grande Bible des bénédictins, St Jérôme écrivant
La grande Bible des bénédictins de Saint-Sulpice - © Fonds d'étude et de conservation de Bourges

Si Bourges fut pendant 140 ans la capitale de l’art français , ce fût de par l’accumulation de circonstances exceptionnelles :

  • les bouleversements de la Guerre de Cent Ans
  • la désertion de Paris par les artistes pour se mettre au service de la Cour des Valois
  • et surtout la personne du Duc de Jean de Berry, formidable mécène aussi riche que puissant.
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C’est grâce aux chantiers et travaux titanesques du Duc Jean de Berry que foule de sculpteurs, verriers, tapissiers, peintres et enlumineurs migrèrent vers la capitale Berrichonne. Sa bibliothèque de 300 ouvrages illustre l’importance de ses besoins incessant et la richesse de sa bourse.

Comme souvent au Moyen-âge, les artistes se regroupaient au sein d’un même quartier, au plus près de leur commanditaire. Jean Favière, dans sa préface du livret d’exposition de 1951 Chefs d’œuvre des Peintres enlumineurs de Jean de Berry et de l’Ecole de Bourges, estime que les enlumineurs habitaient dans la vieille cité, près de la Collégiale de Saint-Pierre-le-Puellier, aujourd’hui disparue.

Vue de Bourges en 1635
Bourges, vue dessinée en 1635, publiée par le Commandant Chenu en 1913 et légendée par S. Granger en 2020

Les ateliers se trouvaient dans le quartier regroupant actuellement la Place George Sand, les rues de l’Hôtel-Lallemant, de la Petite-Armée et de la Porte-Jaune. 

Pol de Limbourg habitait avec sa toute jeune épouse berruyère, Gilberte Baston, à l’emplacement de l’actuel 5 de la rue Porte-Jaune.

Carte du centre ville de Bourges indiquant l'emplacement du quartier des enlumineurs de l'école de Bourges

Quels sont les artistes et les principales œuvres de l’Ecole de Bourges ?

Il faut reconnaître deux périodes  pour l’Ecole de Bourges, celle de Jean de Berry et celle de la cour de Charles VII.

1380-1416 : les fondateurs sous Jean de Berry

3 grands noms dominent le groupe d’enlumineurs de Jean de Berry :

  • André Beauneveu, venu de Valencienne,
  • Jacquemart de Hesdin, en provenance d’Artois
  • Les frères de Limbourg, Paul et Herman en Johan, Gebroeders Van Lymborch.

Les manuscrits les plus célèbres de cette époque sont bien sûr ceux réalisés pour la bibliothèque de Jean de BerryLes 6 livres d’heures comptent parmi les chefs d’œuvre les plus remarquables de l’Ecole de Bourges dont les incontournables Très Riches Heures du Duc de BerryCe sont les frères de Limbourg qui y travaillent depuis l’hôtel de Nesle du Duc de Berry, jusqu’à son décès à Paris en 1416.

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© Musée de Chantilly Les Très Riches Heures du Duc de Berry MS-65-fol-38v

A l’autre extrémité du siècle : la nouvelle renommée de Bourges avec Jean Colombe

L’École de Bourges ne disparaît pas avec la mort du Duc de Berry et son éloignement parisien. Les enlumineurs berruyers ont fait école et leur succèdent pour satisfaire la clientèle des bourgeois et membres du clergé local. Malheureusement bon nombre d’enlumineurs ne sont plus que des noms sans œuvres attachées.

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Ce qui change la donne est l’arrivée du petit roi de Bourges. En effet, Charles VII est contraint de trouver refuge avec sa cour dans le palais de son oncle et reprend sa succession. Et la guerre n’impacte en rien l’appétence de la cour pour les livres enluminés.

C’est dans ce contexte qu’apparaît en 1468 le nom de Jean Colombe, établit à l’emplacement du n°16 de la rue Porte-Jaune.  Protégé de la reine de France, Charlotte de Savoie, il travaille non seulement pour elle comme l’atteste le Livre des 12 périls d’Enfer ,mais aussi pour le duc Charles Ier de Savoie, son neveu.  C’est d’ailleurs ce dernier qui confie à Jean Colombe l’achèvement des très Riches heures du Duc de Berry.

Des Douze périls d'Enfer enluminure de Jean Colombe Folio 66v
© BNF Gallica - Des Douze périls d'Enfer Folio 66v

L’atelier de Jean Colombe est extrêmement renommé et de grands noms de l’enluminure lui sont associé comme Jean de Montluçon, auteur d’un Livre d’Heure à l’usage de Bourges , Jehan Guyn, Jehan Croff, Laurent Croff, Laurent Bouéron, tous établis rue porte Jaune.  Jean Conard, peintre de Marie d’Anjou et auteur de certaines peinture des Heures de Louis de Laval avec Jean Duchesne, Jacquelin de Montluçon et Henri de Vulcob sont situés non loin, rue des Carmes.

Quelles sont les spécificités de l’Ecole de Bourges ?

Jean Porcher reconnaît que les peintres de Jean de Berry ont « offert à l’enluminure française quelques-uns des plus harmonieux chefs-d’œuvre qui furent jamais ». D’influence flamande, les œuvres des Beauneveu, Hesdin et Limbourg se reconnaissent en un clin d’œil.

A l’autre bout du siècle, l’atelier de Jean Colombe hérite des Limbourg le goût de l’air et de la lumière, des paysages réalistes et aisément reconnaissables. 

Les enlumineurs de Bourges, sans atteindre la perfection de Jean Fouquet, perpétuent la tradition d’un goût pour la vie champêtre, tout en excellant dans les paysages urbains.  Comme lui, ils utilisent des rehauts d’or tracés à petits coups sur les costumes et les foules sont représentées par « des têtes de personnages accumulés ressemblant aux tuiles d’un toît » dixit le Colonel Chenu. Les grandes miniatures de pleine pages sont de véritables tableaux de chevalet où les filets d’or savent désormais mettre en relief les volumes et exprimer les mouvements des combats et de la foule, bien mieux que le faisaient les enlumineurs sous Jean de Berry.  Une influence italienne se fait aussi sentir, laissant pressentir les premiers souffles de la Renaissance.

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Horae ad usum Romanum, dites Heures de Louis de Laval
© BNF Gallica - Horae ad usum Romanum, dites Heures de Louis de Laval - Folio 182r

Le Comte Durrieu a signalé la présence de devises latines et françaises particulières à l’école berruyère : «  Omnis spiritus laudet, A la Verdure, Temps perdu pour Colombe, Telle est ma fortune. “

Pourquoi l’Ecole d’enlumineurs a-t-elle disparue ?

Jean Favière explique que « pour faire vivre un aussi grand nombre d’enlumineurs, il fallait une clientèle nombreuse et susceptible de payer le luxe qu’elle s’offrait. Il y  avait bien entendu les princes, l’Archevêque de Bourges, Jean Cœur. (…/…) La masse des clients  dut se trouver parmi les grands bourgeois du temps enrichis par le négoce, dans une ville en plein essor économique. ».

Le XVe correspond à l’apogée de la ville de Bourges. Duché puissant par Jean de Berry puis capitale de la France avec l’exil de Charles VII, cet âge d’or ne durera que le temps pour le roi victorieux de regagner Paris, redevenu capitale en 1437 avec toute sa cour. L’arrestation de Jacques Cœur en 1451 et la désertification des riches et puissants de la province inciteront les enlumineurs à suivre leurs commanditaires, en Bourgogne et à Paris.

Et surtout, l’invention de l’imprimerie en 1454 sonne le glas de l’enluminure. Les Bibles imprimées sont à la fois plus rapides à obtenir et bien moins onéreuses. Le livre enluminé n’est alors plus une nécessité mais un luxe que seuls les plus riches mécènes peuvent s’offrir et ils ne sont plus à Bourges.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’Ecole de Bourges ?

Si les manuscrits enluminés du Duc de Berry continuent de nous fasciner, le nom de l’Ecole de Bourges a presque totalement disparu de la littérature.  J’ai « découvert » ce nom en préparant l’article sur Jean de Berry, aux travers d’écrits biographiques. Le nom est rapidement évoqués dans les biographies de Colombe ou Hesdin mais je n’ai pas trouvé d’articles ou d’ouvrages qui lui soit consacrée, comme si cette notion d’École de Bourges fut oubliée. C’est en fouillant le web que j’ai chiné le livret d’exposition de 1951  « Chefs d’œuvre des Peintres enlumineurs de Jean de Berry et de l’Ecole de Bourges » dont la préface de Jean Favière a été une mine d’informations précieuse.

Il est fort dommage que cette École fut oubliée de l’Histoire car elle représente l’enluminure française à son apogée ainsi que son terme, puisqu’elle fut supplantée peu après par les inspirations italiennes. C’est finalement l’individualité des ouvrages et des grands maîtres qui est restée avec des chefs d’œuvres mondialement connus, bien que parfois dépouillés.

Au final, c’est le collectif qui a disparu des mémoires et ces 140 années d’histoire méritent d’être remises en lumière, ce qui est un comble pour des enluminures…

Chefs d'Oeuvre des Peintres Enlumineurs de Jean de Berry et de l'Ecole de Bourges-1951
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Cet article a 6 commentaires

  1. Sandrine

    Je connaissais les Très Riches Heures du Duc de Berry mais je n’avais aucune idée que cette école de Bourges existait !
    Merci pour l’enquête !

  2. Merci pour cet article très intéressant et de participer au souvenir de cette école ! Entre les artistes et les alchimistes, il s’en passait des choses à Bourges à l’époque 😄

    1. Isabelle NG

      C’est la magie d’être une capitale médiévale ! Plein de richesses et de trésors oubliés et à redécouvrir !

  3. Marie-ange DOAN

    Merci pour ce sperbe article ; quel dommage que cette école n’existe plus !

    1. Isabelle NG

      Merci pour votre commentaire! La plupart des écoles ont malheureusement disparues au fil du temps et avec l’apparition de l’imprimerie. Mais ce qui est vraiment dommage est que l’Histoire l’ai oublié !